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LIVRE II.

attendant messire Guillaume de Vindesore qui menoit l’arrière-garde, qui point n’étoit encore venu : mais il vint ce soir. Et lendemain se délogèrent tous ensemble et partirent en ordonnance, et chevauchèrent ce jour jusques à Esproleque, et là se logèrent. Le capitaine de Saint-Omer, qui sentoit les Anglois si près de lui, réconforta les guets et fit toute la nuit veiller plus de trois mille hommes, par quoi la ville de Saint-Omer ne fût surprise des Anglois.


CHAPITRE LXVI.


Comment le comte de Bouquinghen et son arroi traversèrent Artois, Vermandois et Champagne, et passèrent la rivière de Saine en allant emprès Troyes ; et de leurs aventures en celui voyage.


À lendemain, ainsi comme à six heures, se délogèrent les Anglois de Esproleque, et chevauchèrent en ordonnance de bataille devers Saint-Omer. Ceux de la ville de Saint-Omer, quand ils sentirent que les Anglois venoient, ils s’armèrent tous, ainsi que commandé leur étoit, et s’ordonnèrent aux crénaux moult étoffément ; car on leur disoit que les Anglois les assaudroient. Mais ils n’en avoient nulle volonté ; car la ville est trop forte, et plus y pouvoient perdre que gagner. Toutefois le comte de Bouquinghen, qui oncques n’avoit été au royaume de France, voult voir Saint-Omer, pour ce que elle lui sembloit belle de murs, de portes, de tours et de beaux clochers. Si s’en vint arrêter sur une montagne à demi-lieue près ; et là fut l’ost rangé et ordonné en bataille plus de trois heures ; et là ot aucuns jeunes chevaliers et écuyers, montés sur fleurs de coursiers, qui éperonnèrent jusques aux barrières et demandèrent joute de fers de glaives aux chevaliers et écuyers qui dedans Saint-Omer étoient. Mais ils ne furent point répondus ; et si s’en retournèrent arrière en l’ost, en éperonnant leurs coursiers et en faisant grand semblant de vouloir faire fait d’armes.

Ce jour que le comte de Bouquinghen vint devant Saint-Omer à la vue de ceux de la ville, il fit chevaliers nouveaux, premièrement messire Raoul, fils du seigneur de Neufville, messire Berthelemieu, fils du seigneur de Boursier, messire Thomas Camois, messire Foulques Courbet, messire Thomas d’Anglure, messire Raoul de Pipes, messire Louis de Saint-Aubin, messire Jean Paulle. Ces nouveaux chevaliers en leur chevalerie, qui étoient montés sur bons coursiers, vinrent jusques aux barrières et demandèrent joute ; mais point n’en furent répondus ; et retournèrent pour la doute du trait, car ils ne vouloient mie perdre leurs chevaux. Quand le comte de Bouquinghen et ses agens virent que les seigneurs de France, qui dedans Saint-Omer étoient, ne se mettoient point aux champs à l’encontre d’eux, si passèrent outre moult ordonnément et tout le pas, et s’en vinrent loger ce jour aux Échelles, en-my de Saint-Omer et de Thérouenne, et là se tinrent toute la nuit ; et lendemain ils se partirent et cheminèrent vers Thérouenne.

Quand ceux de la garnison de Boulogne, d’Ardre, de Tournehen, de le Montoire, de Hames, et des chasteaux de la comté de Boulogne, d’Artois et de Guines, virent le convenant des Anglois, qui alloient toujours sans eux arrêter, si signifièrent leurs volontés l’un à l’autre, en disant que il les feroit bon poursuir, et que on y pourroit bien gagner. Si se recueillirent tous, et assemblèrent dessous les pennons du seigneur de Fransures et du seigneur de Saint-Py, et se trouvèrent bien deux cents lances ; si commencèrent à costier et poursuir les Anglois. Mais les Anglois se tenoient tous ensemble, ni point ne se déroutoient ; ni on ne s’osoit bouter en eux, qui ne vouloit tout perdre. Toutes fois ces chevaliers François et écuyers ratteignoient à la fois et ruoient jus les fourrageurs anglois, par quoi ils étoient plus ressoignés ; et n’osoient mie les fourrageurs chevaucher ni aller en fourrage fors en grands routes. Si en y avoit aucune fois de rués jus et pris des uns et des autres ; et puis fait échanges et parçons tels que les faits d’armes demandent. Quand le comte de Bouquinghen et son ost furent partis de Marquingen, ils chevauchèrent ce jour vers Thérouenne et passèrent outre sans rien faire ; car le sire de Saint-Py et le sire de Fransures y étoient et leurs routes. Si vinrent à Biterne, et là se rafreschirent un jour et reposèrent : je vous dirai pourquoi.

Vous savez, si comme il est ci-dessus contenu dans l’histoire, comment le roi Richard d’Angleterre, par la promotion de ses oncles et de son conseil, avoit envoyé en Allemagne son chevalier messire Symon Burlé devers le roi des Romains, pour avoir sa sueur en mariage. Le che-