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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/102

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

seigneur de Neufville, messire Henry de Ferrières le bâtard, messire Hugues Broc, messire Geffroy Oursellé, messire Thomas West, le seigneur de Saint-More, David Hollegrave, Huguelin de Cavrelée, bâtard, Bernard de Cederières et plusieurs autres.

Si chevauchoient ces gens d’armes en bonne ordonnance et en grand arroy ; et n’allèrent, le jour qu’ils issirent de Calais, plus avant que à Marquigne, et là s’arètèrent pour entendre à leurs besognes et avoir conseil entre eux, lesquels chemins ils tendroient pour accomplir leur voyage ; car il y avoit plusieurs en la route qui oncques mais n’avoient été en France, comme le fils du roi et plusieurs barons et chevaliers. Si étoit bien chose raisonnable que ceux qui connoissoient le pays et le royaume, et qui autrefois l’avoient passé et chevauché, eussent tel avis et gouvernement que à leur honneur ils accomplissent leur voyage. Voir est que quand les Anglois, du temps passé, sont venus en France, ils ont eu telle ordonnance entr’eux, que les capitaines juroient en la main du roi d’Angleterre et de son conseil trois choses ; elles sont telles : que à créature du monde fors entre eux, ils ne révéleroient leurs secrets ni leur voyage, ni là où ils tendroient à aller ; la seconde chose est que ils accompliroient leur voyage à leur pouvoir ; la tierce chose est que ils ne peuvent faire aucuns traités à leurs ennemis, sans le sçu et la volonté du roi et de son conseil.

Quand iceulx barons et écuyers se furent arrêtés et reposés à Marquigne trois jours, et que tous ceux furent venus et issus de Calais qui au voyage devoient aller, et que les capitaines eurent avisé à leurs besognes et quel chemin ils tiendroient, au quatrième jour ils se départirent et mirent à chemin en très bonne ordonnance ; et passèrent tout par devant Ardre, et là boutèrent hors leurs bannières le comte d’Asquesuffort et le comte de Devensière ; et arrêta tout l’ost devant la bastide pour eux montrer aux gens d’armes qui dedans étoient. Et là fut fait chevalier du comte de Bouquenghen le comte de Devensière et le sire de Morlay. Et mirent ces deux seigneurs là premièrement hors leurs bannières. Encore fit le comte de Bouquenghen chevaliers ceux qui s’ensuivent : le fils du seigneur de Fit-Vatier, messire Roger d’Estrangne, messire Jean d’Ypre, messire Jean Colé, messire Jame de Citelée, messire Thomas Jonneston, messire Jean de Neufville, messire Thomas Roselée ; et vint l’ost gésir à Hoske sur une moult belle rivière ; et furent faits ces chevaliers nouveaux pour la cause de ceux de l’avant-garde, qui s’en allèrent ce jour par devers une forte maison séant sur la rivière, qu’on dit Frolant. Dedans avoit un écuyer à qui cette maison étoit, que on clamoit Robert, et étoit bon homme d’armes ; si avoit garnie et pourvue sa maison de bons compagnons, qu’il avoit pris et recueillis là environ. Et étoient bien quarante, et montrèrent bon semblant d’eux défendre ; car ces barons et chevaliers, en leur nouvelle chevalerie, environnèrent la tour de Frolant et la commencèrent à assaillir de grand’volonté, et ceux de dedans à eux défendre. Là ot fait par assaut maintes belles appertises d’armes ; et traioient ceux de dedans moult âprement, dont ils navrèrent et blessèrent aucuns des assaillans qui s’abandonnoient trop avant. Car il y avoit de bons arbalêtriers que le capitaine de Saint-Omer, messire Baudouin d’Ennekins, avoit envoyés à la requête de l’écuyer, car bien pensoit que les Anglois passeroient par devant sa maison. Si la vouloit tenir et garder à son pouvoir, ainsi qu’il fit, car il se porta vaillamment. Là dit une haute parole le comte de Devensière, qui étoit sur les fossés, sa bannière devant lui, qui moult encouragea ses gens : « Et comment, seigneurs ! en notre nouvelle chevalerie nous tiendra meshui ce colombier ? Bien nous devront tenir les forts chasteaux et les fortes places qui sont au royaume de France, quand une telle maison nous tient. Avant, avant ! montrons chevalerie ! » Bien notèrent ceux qui l’entendirent celle parole et s’épargnèrent moins que devant ; et entrèrent abandonnément dedans les fossés ; et passoient aucuns sus pavois afin que la bourbe ne les engloutit ; et vinrent jusques au mur ; et là traioient archers si ouniement que à peine se osoit montrer nul aux défenses. Si en y ot du trait plusieurs blessés et navrés, et la basse-cour fut prise et arse, et les tours fort assaillies. Finablement ils furent tous pris ; mais moult vaillamment se vendirent ; et n’y ot oncques homme qui ne fût blessé. Ainsi fut la maison de Frolant prise, et Robert Frolant dedans, et prisonnier au comte de Devensière, et les autres à ses gens ; et tout l’ost se logea sur la rivière de Hoske, en