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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

glaive et s’en vient sur le seigneur de Hangest qui fuyoit devant lui vers Plancy, et lui adresse son glaive devant au dos par derrière, et puis fiert cheval des éperons et le cuide mettre hors de selle, mais non fit ; car oncques le sire de Hangest n’en perdit selle ni estrier, quoique l’homme d’armes le tenist toudis le fer au dos. Et ainsi battant et chevauchant, il et la route vinrent à Plancy ; et droit à l’entrée du chastel, le sire de Hangest, par grand’appertise d’armes et de corps, saillit jus de son cheval par devant, sans prendre dommage, et se déferra du glaive et entra dedans les fossés. Ceux du chastel entendirent à lui sauver et recueillir, et vinrent à la barrière ; et là eut dure escarmouche, car les François qui étoient affuis jusques-là montrèrent visages ; et ceux du chastel aussi traioient moult aigrement, car ils avoient de bons arbalêtriers. Et là y ot fait de belles appertises d’armes d’une part et d’autre ; et à grand’peine sauvèrent-ils le seigneur de Hangest et recueillirent, qui très vaillamment en rentrant au chastel se combattit.

Et toujours venoient gens de l’avant-garde, le sire de Vertaing, messire Thomas Trivet, messire Hue de Cavrelée, et les autres, car leur logis étoit ordonné là. Si y souffrirent très grand’peine les François ; et ne purent mie tous entrer au chastel, car ils étoient si près hâtés qu’ils n’osoient ouvrir avant leur barrière qu’ils ne fussent efforcés. Si en y ot, que de morts que de pris, environ trente ; et dura l’escarmouche près de trois heures ; et fut la basse-cour du chastel tout arse ; et le chastel fort assailli de toutes parts, mais aussi il fut bien défendu. Et furent les moulins de Plancy ars et abattus ; et passa par là tout l’ost au pont et au gué la rivière d’Aube, et cheminèrent vers Volant sur Saine pour là venir au gîte. Ainsi fut ce jour le sire de Hangest en grand’aventure d’être pris.

Le propre jour que tout l’ost vint loger à Volant sur Saine au dessus de Troyes, pour là passer au gué la rivière, chevauchoient les fourrageurs de l’avant-garde, messire Thomas Trivet, messire Hue de Cavrelée, le sire de Vertaing, le bâtard son frère, Pierre Breton et plusieurs autres ; et ainsi que compagnons qui désirent à profiter, il y en avoit aucuns qui chevauchoient devant à l’aventure : si encontrèrent messire Jean de Roye et environ vingt lances des gens du duc de Bourgogne qui s’en alloient à Troyes. Quand iceux Anglois les aperçurent, ils férirent des éperons après eux ; et les François entendirent à eux sauver, car ils n’étoient mie gens assez pour les attendre. Si se sauvèrent la greigneur partie, et messire Jean de Roye et les autres se boutèrent dedans les barrières de Troyes ; et jusques à là furent-ils chassés. Au retour que les Anglois firent, le Bâtard de Vertaing et ses gens en prindrent quatre qui ne se purent sauver. Entre les autres avoit là un écuyer du duc de Bourgogne, qui s’appeloit Guion Gouffer, appert homme d’armes durement, dessous qui son cheval étoit es-hanché : si étoit arrêté aux champs et avoit adossé un noyer, et là se combattoit très vaillamment à deux Anglois qui le costioient de moult près, car ils ne savoient mot de François, et l’écuyer ne savoit mot d’Anglois. Bien lui disoient iceux Anglois : « Rends toi ! » Et il n’en vouloit rien faire, car il ne savoit qu’ils disoient ; donc ils le combattoient si avant qu’ils l’eussent là occis, quand le Bâtard de Vertaing qui retournoit de la chasse vint sur eux. Si descendit de son coursier, et vint à l’écuyer et lui dit : « Rends-toi ! » Cil, qui entendit son langage, répondit : « Es-tu gentil hom ? » Et le Bâtard dit : « Oil. » — « Donc me rends-je à toi. » Et lui bâilla son gant et son épée. Ainsi fut pris Guion Gouffer, dont les Anglois qui l’avoient combattu en eurent dépit, et le vouloient tuer dedans les mains du bâtard ; et disoient qu’il n’étoit mie bien courtois quand il leur avoit tollu leur prisonnier. Mais le bâtard étoit là plus fort que ils n’étoient ; si lui demeura. Mais pourtant au vespre il en fut question devant les maréchaux ; mais tout considéré et bien entendu, il demeura au bâtard de Vertaing qui le rançonna ce soir, et le reçut sur sa foi et le renvoya le matin à Troyes. Et tout l’ost se logea à Volant sur Saine. Au lendemain ils passèrent tous à gué la rivière de Saine, et s’en vinrent loger à une petite lieue de Troyes, en un village que on dit Barnard-Saint-Simple, et là se tinrent tout coi, et se aisèrent de ce qu’ils avoient ; et là eurent grand conseil les seigneurs et les capitaines ensemble.