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LIVRE II.

sur les fossés de la cité de Reims, et là descendirent et firent leurs gens descendre et entrer ès fossés et chasser hors les bêtes. Ni nul n’osoit issir ni aller au devant, ni lui montrer aux créneaux ni au défenses, car les archers qui étoient rangés sur les fossés traioient si ouniement que nul n’osoit venir avant pour défendre la proie. Ainsi fut-elle toute mise hors des fossés, où bien eut plus de quatre mille bêtes, dont ils eurent grand’joie. Avec tout ce ils mandèrent à cils de Reims, qu’ils arderoient tous leurs bleds environ Reims s’ils ne le rachetoient de vivres, de pains et de vins. Cils de Reims doutèrent cette menace et pestillence d’ardoir leurs bleds aux champs ; si envoyèrent en l’ost six charées de pains et autant de vins. Parmi ce le bled et les avoines furent répités de non ardoir. Si passèrent au lendemain tous les Anglois en ordonnance de bataille devant la cité de Reims, et vinrent gésir à Beaumont sur Velle, car jà avoient-ils au dessous de Reims passé la rivière.

Au délogement de Beaumont sur Velle chevauchèrent les Anglois à mont pour passer la belle rivière de Marne : et vinrent à Condé sur Marne, et trouvèrent le pont défait ; mais encore étoient les estaches en l’eau : si trouvèrent planches, bois et merriens ; et firent tant qu’ils ordonnèrent un bon pont par où l’ost passa et vint ce jour loger à Genville sur Marne, et au lendemain en la ville de Vertus ; et là eut grand’escarmouche au chastel, et grand’plenté de gens blessés ; et se logea le comte de Bouquenghen en la ville de Vertus, et les autres par les villages environ. Si fut, la nuit, la ville de Vertus toute arse hors mis l’abbaye qui n’eut garde, pourtant que le comte y étoit logé ; autrement elle eût été arse sans déport, car ceux de la ville s’étoient retraits au fort, qui point ne se vouloient rachapter ni rançonner. Et aussi les hérauts de l’ost en furent moult coupables, car ils se plaignirent au comte de Bouquenghen que ils portoient et faisoient tous les traités des rachats des feux de l’avant-garde, et si n’en avoient nul profit ; et au voir dire il en appartenoit à eux aucune chose. Donc le comte, à la complainte d’eux, commanda que on ardist tout, si des rachats à argent ils n’avoient leur devoir. Par ainsi fut la bonne ville de Vertus tout arse et le pays d’environ. Au lendemain on se délogea et vint-on passer devant le chastel de Montmer, qui est beau et fort, et héritage au seigneur de Chastillon. Le chastel étoit bien pourvu d’artillerie et de gens d’armes, chevaliers et écuyers du pays, que le sire de Chastillon y avoit envoyés et établis. Si ne se porent aucuns compagnons de l’avant-garde abstenir en passant que ils ne l’allassent voir et assaillir ; et y eut à la barrière un petit d’escarmouche et aucunes gens blessés du trait. Si passèrent outre et vinrent loger à Pallote en approchant la cité de Troyes, et là se tinrent un jour. Et au lendemain ils chevauchèrent devers Plancy sur Aube ; et chevauchoit l’avant-garde devant, et y avoit aucuns compagnons ennuyés de ce qu’ils ne trouvoient armes et aucun profit ; et savoient bien, selon ce que on les avoit informés, que en la cité de Troyes avoit grand amas de gens d’armes et que là venoient de tous côtés, car le duc de Bourgogne y étoit atout grand’puissance, et là avoit fait son mandement. Si se avisèrent le sire de Chastel-Neuf et son frère, et Raimonnet de Saint-Marsan, Gascons, et autres, Anglois et Hainuyers, environ quarante lances, qu’ils chevaucheroient à l’aventure pour trouver quelque chose. Si chevauchèrent ce matin d’une part et d’autre, et rien ne trouvèrent, dont ils étoient tout ennuyés. Ainsi qu’ils s’en retournoient vers leurs gens, ils regardèrent et virent sur les champs une route de gens d’armes qui chevauchoient vers Troyes, et c’étoit le sire de Hangest qui voirement alloit ce chemin ; car le sire de Coucy, dessous qui il étoit, se tenoit à Troyes. Sitôt que ces Anglois virent le pennon du sire de Hangest et sa route, ils connurent qu’ils étoient François ; si commencèrent à brocher après eux chevaux des éperons. Le sire de Hangest les avoit bien vus, et douta qu’ils ne fussent plus grand’route qu’ils n’étoient : si dit à ses gens : « Chevauchons ces plains devers Plancy et nous sauvons, car iceux Anglois nous ont découverts, et leur grosse route est près d’ici ; nous ne les pouvons fuir ni échapper, ils sont trop contre nous ; mais mettons nous à recueillette et à sauveté au chastel de Plancy.

Ainsi comme il ordonna ils le firent, et tirèrent celle part ; et vecy les Anglois, venans et éperonnans sur eux, qui les suivoient de près. Là eut un homme d’armes de Hainaut et de Valenciennes, de la route du seigneur de Vertaing, appert homme d’armes, qui s’appeloit Pierre Breton, qui bien étoit monté ; et abaisse son