Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
104
[1380]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Troyes. Si leur fut ouverte la bastide et les barrières ; et arrêtèrent là, et ne purent venir à la porte, car il en issoit grand’foison de gens d’armes et d’arbalêtriers qui se mettoient par ordonnance en la bastide dont ils avoient fait leur recueillette, et étoient les deux rois vêtus et parés des cottes d’armes du comte de Bouquenghen : et demandèrent les seigneurs qu’ils vouloient. Ils répondirent : « Nous voulons, si nous pouvons, parler à monseigneur de Bourgogne. »

Entrementes que Chandos et Aquitaine firent leur message envers le duc de Bourgogne, entendirent leurs seigneurs et maîtres à ordonner leurs batailles et besognes ; et cuidoient ce jour pour certain avoir la bataille, et sur tel état ils s’ordonnèrent. Là furent appelés tous ceux qui nouveaux chevaliers vouloient et devoient être ; et premièrement messire Thomas Trivet apporta sa bannière tout enveloppée devant le comte de Bouquenghen, et lui dit : « Monseigneur, s’il vous plaisoit, je développerois volontiers à la journée de huy ma bannière, car Dieu merci ! j’ai mises assez et chevance pour parmaintenir l’état comme à la bannière appartient. » — « Il nous plaît bien, » répondit le comte. Et adonc prit il par la haste la bannière, et lui rendit en sa main, et lui dit le comte : « Messire Thomas, Dieu vous laist faire votre preu cy et autre part ! » Messire Thomas Trivet prit la bannière et la développa, puis la bailla à un sien écuyer où il avoit la plus grand’fiance, et chevaucha outre ; et vint à l’avant-garde, car il en étoit, par l’ordonnance du connétable, le seigneur Latimer, et du maréchal de l’ost, le seigneur Fitvatier. Adonc fit là, en présent le comte, chevaliers ceux que je vous nommerai. Premièrement, messire Pierre Breton, messire Jean et messire Thomas Paule, messire Jean Stinquelée, messire Thomas d’Ortingues, messire Jean Wallecok, messire Thomas Bersie, messire Jean Bravine, messire Thomas Bernier, messire Jean Colleville, messire Guillaume Évrart, messire Nicolas Stinquelée et messire Hugue de Lume ; et à fait que iceux nouveaux chevaliers avoient pris l’ordre de chevalerie, ils se traioient en sa première bataille pour avenir aux premiers faits d’armes. Adonc fut appelé du comte de Bouquenghen un moult gentil écuyer de la comté de Savoie, qui autrefois avoit été requis de prendre l’ordre de chevalerie devant Ardre et devant Saint-Omer, et tout sur ce voyage ; et s’appeloit Raoul de Gruyères, fils au comte de Gruyères ; et lui dit le comte de Bouquenghen ainsi : « Raoul, nous arons, s’il plaît à Dieu et à Saint-George, convenant d’armes ; si vueil que vous soyez chevalier. » L’écuyer s’excusa, ainsi que autrefois excusé s’était, et dit : « Monseigneur, Dieu vous puist rendre et mérer le bien et honneur que vous me voulez faire ; mais je ne serai jà chevalier si mon naturel seigneur, le comte de Savoie, ne le me fait, en bataille de chrétiens contre Sarrasins. » On ne l’examina plus avant, et ainsi fut-il déporté à être chevalier, Et puis l’année après il le fut en Prusse, et eurent adonc les chrétiens rèse. Ce fut quand le sire de Mastaing et Jean d’Obies et les autres de Hainaut y demeurèrent.

De voir l’ordonnance des batailles des Anglois comment ils étoient rangés sur les champs et mis en trois batailles, les archers sur èle, et les gens d’armes au front, c’étoit très grand’plaisance à regarder. Et furent en ordonnance de bataille, en faisant les chevaliers nouveaux, plus d’une heure, sans point partir de là. Autant bien s’ordonnoient les François en leur bastide ; car bien pensoient les seigneurs de France que du moins il y aroit escarmouche, et que tels gens d’armes que les Anglois étoient, et ainsi ordonnés, ne se partiroient point sans eux venir voir de plus près ; si se mettoient en bonne ordonnance. Et étoit le duc de Bourgogne au dehors de la porte, armé de toutes pièces, une hache en sa main et un bâton blanc en l’autre ; et passoient tous barons, chevaliers et écuyers qui alloient vers la bastide, par devant lui ; et y avoit si grand’presse, que on ne pouvoit passer avant ; ni les hérauts ne pouvoient outre passer, ni aller jusques au duc pour faire leur message, ainsi comme il leur étoit enchargé.

Avecques les paroles ci-dessus dites du comte de Bouquenghen aux deux hérauts, Aquitaine et Chandos, y avoit bien autres ; car le soir que les seigneurs furent à conseil en l’ost d’Angleterre, il fut dit aux hérauts. « Vous ferez ce message ; et direz au duc de Bourgogne que le duc et le pays de Bretagne, conjoints ensemble, ont envoyé au roi d’Angleterre pour avoir confort et aide à l’encontre d’aucuns barons et chevaliers de Bretagne, rebelles au duc, et lesquels ne veulent obéir à leur seigneur en la forme et ma-