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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/114

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

roiement de leurs chevaux : à la seconde ils se consuivirent, mais ce fût en vidant. Adonc dit le comte de Bouquinghen, pourtant qu’il étoit sur le plus tard : « Hola, hola ! » et dit au connétable le seigneur Latimier et au maréchal : « faites les cesser, ils ont fait assez meshui ; nous leur ferons faire et accomplir leur emprise autre part et à plus grand loisir que nous n’avons ores ; et gardez bien que l’écuyer françois n’ait nulle faute que il ne soit aussi bien gardé que le nôtre ; et dites, ou faites dire à ceux du chastel qu’ils ne soient en nul souci de leur homme et que nous l’emmenons avec nous pour parfinir son emprise, et non pas comme prisonnier ; et lui délivré, s’il en peut échapper vif, nous leur renvoierons sans péril nul. » La parole du comte fut accomplie, et fut dit à l’écuyer françois, du maréchal : « Vous chevaucherez avec nous sans péril, et quand il plaira à monseigneur on vous délivrera. » Gauvain dit : « Dieu y ait part ! » Tantôt fut tard ; on alla souper. On envoya un héraut à ceux du châtel qui leur dit les paroles que vous avez ouïes. Ainsi se porta celle journée, ni il n’y ot plus rien fait.

Au lendemain on sonna moult matin les trompettes de délogement : si se mirent en arroi et au chemin toutes manières de gens, et chevauchèrent en bonne ordonnance, tout ainsi comme ils avoient en devant fait vers Yauville en Beausse. Si fit ce jour moult bel et moult clair. Et étoient en trois batailles ; la bataille du connétable et du maréchal devant, et puis le comte de Bouquinghen, le comte d’Asquesufort et le comte de Deversière en leur bataille ; et puis alloient tous leurs charrois ; puis venoit l’arrière-garde dont messire Guillaume de Vindesore étoit chef. Et vous dis qu’ils ne furent oncques si assurés en cheminant parmi le royaume de France que ils n’eussent espoir tous les jours d’être combattus ; car bien savoient qu’ils étoient côtoyés et poursuivis des François de autant de gens et plus qu’ils n’étoient. Et voirement les seigneurs, comtes, barons, chevaliers et écuyers et gens d’armes du royaume de France qui les poursuivoient en étoient en grand’volonté, et les désiroient moult à combattre, et disoient entre eux les plusieurs sur les champs et en leur logis que c’étoit grand blâme et grand’vergogne quand on ne les combattoit ; et tout ce de non combattre se brisoit par le roi de France qui tant doutoit les fortunes que nul roi plus de lui ; car les nobles du royaume de France, par les batailles que ils avoient données aux Anglois, avoient tant perdu du temps passé que à peine faisoient-ils à recouvrer ; et quand on lui parloit de ce voyage il répondoit ; « Laissez leur faire leur chemin. Ils se dégâteront et perdront par eux-mêmes, et tout sans bataille. » Ces paroles du roi refrenoient de non combattre les Anglois, lesquels alloient avant toudis, sur l’intention d’entrer en Bretagne ; car à ce faire ils avoient ainsi premièrement empris leur chemin.

Dedans le fort d’Yauville en Beausse avoit plus de trois cents lances de François ; et là dedans étoient le Barrois des Barres, le Bègue de Vilaines, messire Guillaume, Bâtard de Langres, messire Jean de Rely, le sire de Hangiers, le sire de Mauvoisin et plusieurs autres chevaliers et écuyers. Si passèrent l’avant-garde et l’arrière-garde, et tous ceux de l’ost, par devant Yauville ; et ot aux barrières un petit d’escarmourche ; mais tantôt ce cessa, car les Anglois y perdoient leur peine. Au dehors de Yauville a un bel moulin à vent : si fut abattu et tout desciré. Assez près de là a un gros village que on dit le Puiset. Là vinrent ceux de l’avant-garde dîner ; et le comte de Bouquinghen se dîna à Yauville et descendit à la maison des Templiers. Ceux qui étoient au Puiset entendirent qu’il y avoit, en une grosse tour qui là siéd sus une motte, environ quarante compagnons. Si ne se purent abstenir ceux de l’avant-garde que ils ne les allassent voir et assaillir ; et l’environnèrent tout autour, car elle siéd en pleine terre à petit de défense. Là eut grand assaut ; mais il ne dura pas longuement ; car ceux archers tiroient si ouniement que à peine s’osoit nul mettre ni apparoir aux gaittes ni aux défenses ; et fut la tour prise, et ceux de dedans morts et pris qui la gardoient ; et puis boutèrent les Anglois le feu dedans, de quoi tout le charpentage chéy, et puis passèrent outre ; et se hâtoient tes Anglois de passer délivrément celle Beausse, pour le danger des yaulves dont ils étoient à grand meschef pour eux et pour leurs chevaux ; car ils ne trouvoient que puits moult parfons, et à ces puits ne avoit nuls sceaux. Si avoient trop grand danger d’iaulve, et eurent tant qu’ils vinrent à Ournoy ; et là se logèrent sus la rivière de la Keyne, et là se reposèrent et rafres-