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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/128

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

guet, et ruèrent jus, et reculèrent le guet tout outre jusques aux logis du connétable, le seigneur Latimer, et s’arrêtèrent devant l’hôtel du seigneur de Vertaing ; et là fut la grande escarmouche et le grand assaut ; car les François avoient jeté leur avis du prendre ; et fut sur le point d’être pris, et le sire de Vertaing dedans. Là eurent ceux du guet moult à souffrir ainçois que le secours vînt ; et y furent messire Yon Fit-Varin, le sire de Vertaing, messire Guillaume Draiton, très bons chevaliers, et y firent plusieurs grandes appertises d’armes.

À ces coups s’effréèrent ceux du logis du connétable et du maréchal, et sonnèrent leurs trompettes. Si s’armèrent partout communaument : messire Guillaume de Vindesore et messire Hue de Cavrelée entendirent la freinte et le son ; si connurent tantôt que l’avant-garde avoit à faire. Si firent sonner leurs trompes et allumer grand’foison de falots et développer leurs bannières. Si vinrent celle part où la grande escarmouche étoit, en leur compagnie cent hommes d’armes et cent archers ; et d’autre part messire Thomas Trivet, messire Thomas de Percy et le sire de Basset, chacun sa bannière devant lui, vinrent à l’escarmouche ; et bien besognoit à l’avant-garde qu’ils fussent hâtivement secourus, car ils furent sur le point de perdre leurs logis. Mais quand ces barons et leurs routes furent venus, si reculèrent les François et les Bretons, et se mirent tous ensemble moult sagement, et se retrairent vers la ville, lançant, trayant et escarmouchant. Là fut faite mainte grande appertise d’armes ; et s’abandonnoient aucuns jeunes chevaliers et écuyers du côté des François, pour eux montrer et agrandir leur renommée moult avant ; et tant que messire Tristan de la Galle y fut pris par sa folle emprise ; et le prit un écuyer de Hainaut que on dit Thierry de Soumaing.

Ainsi se continua celle escarmouche, et rentrèrent en Nantes tous ceux ou en partie qui issus en étoient ; car il convient que en tels faits d’armes il y en ait des morts, des navrés, et des pris et des blessés ; car très donc que on s’arme et que on va à l’escarmouche, on n’en doit autre chose attendre. Toutefois ils rentrèrent dedans à petit de dommage, car ils eurent bien autant de prisonniers que les Anglois avoient des leurs. Si se retrairent en leurs hôtels. Quand la porte fut fermée, ils entendirent à mettre à point les blessés. Aussi se retrairent ceux de l’ost, et s’en r’alla chacun en son logis ; mais pour ce ne rompirent-ils mie leur guet ; ainçois guettèrent plus fortement que devant. Le jour de Noël n’y eut rien fait, ni toutes les fêtes ; si n’attendoient les Anglois autre chose tous les soirs, fors à être réveillés ; et ce qui plus leur touchoit et faisoit d’ennuis, c’étoit que ils n’oyoient nulles nouvelles du duc de Bretagne ; et leur étoient vivres et fourrage si destrois que à peine en pouvoient-ils recouvrer. Mais ceux de dedans en avoient assez qui leur venoient d’autre part la rivière de Loire, de ces bons pays de Poitou, de Xaintonge et de la Rochelle.

Quand le comte de Bouquinghen et les Anglois eurent été à siége devant la cité de Nantes environ deux mois et quatre jours, et virent que ils n’en auroient autre chose, et que le duc de Bretagne ne tenoit nulles de ses convenances, car il ne venoit ni n’envoyoit devers eux, si orent conseil que ils se délogeroient de là, car rien n’y faisoient ; et se trairoient devers Vennes, et s’en iroient tous ensemble parler au duc, et sauroient à celle fois toute son intention. Adonc fut sçu et noncié le délogement parmi l’ost. Si se délogèrent à lendemain de reneuf ; et chevauchèrent en bataille et ordonnance, tout ainsi comme ils avoient fait parmi le royaume de France ; et vinrent au département de Nantes, ce jour, loger à Niort, et furent là pour eux rafreschir, trois jours. Au quatrième ils se départirent et vinrent à Mardre et lendemain à Tillay ; et l’autre jour après à Bain, et là demeurèrent trois jours, pour le pont qui étoit rompu. Si orent moult de mal et de peine au refaire pour passer outre et leurs charrois : toute fois le pont fut refait bon et fort, et passa l’ost la rivière de Vollain, et fut par un samedi, et vint loger à Loheac et là demeura l’ost deux jours. Et lendemain quand ils partirent de Loheac, ils s’en vinrent loger à Gors, et là demeura l’ost deux jours ; et lendemain à Moron, et demeura là l’ost deux jours ; et lendemain à la Trinité. Ils passèrent la rivière d’Aoust au pont de Bain ; et la demeura, outre l’eau sur les plains, tout l’ost, ce jour que ils eurent passé la rivière.

Ceux de la cité de Vennes étoient tous informés par ceux du pays que le comte de Bouquinghen et les Anglois venoient celle part, et étoit leur intention que de loger en la ville : si ne