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LIVRE II.

rent conseil les François, qui en Nantes se tenoient, qu’ils viendroient réveiller l’ost, car trop avoient reposé. Si issirent environ deux cents lances, desquels messire Amaury de Cliçon, cousin germain au seigneur de Cliçon, et le sire d’Amboise, étoient meneurs et gouverneurs, et s’en vinrent férir sur les logis messire Guillaume de Vindesore ; et issirent par la poterne de Richebourg sur la rivière ; et faisoient ce soir le guet les gens messire Hue de Cavrelée. À celle heure fut fait chevalier le sire d’Amboise ; et le fit chevalier messire Amaury de Cliçon. Ces gens d’armes bretons et françois se boutèrent de grand’volonté au guet, et gagnèrent de pleine venue la barre du guet et le chevalier du guet qui s’appeloit messire Guillaume de Cousenton. Là eut forte escarmouche et dure, et maint homme renversé par terre. Messire Guillaume de Vindesore et messire Hue de Cavrelée, qui étoient en leur retrait, entendirent le hutin : si saillirent tantôt sus et s’armèrent et appareillèrent, et vinrent celle part où le plus fort hutin étoit. Là eut trait, féru et lancé et escarmouché ; et se portèrent toutes les parties vaillamment ; et rentrèrent en combattant et escarmouchant tous les François et les Bretons en la poterne de Richebourg, par laquelle ils étoient issus ; et sans dommage, car ils eurent un prisonnier chevalier et dix hommes d’armes ; et il y en eut pris des leurs trois. Ainsi se porta cette nuittie.

Le jeudi devant la vigille de Noël, issirent de Nantes sur le soir, par la porte de Sauvetout, messire le Barrois des Barres et le sire de Selete, et six vingt hommes d’armes, et s’en vinrent férir au logis du comte de Bouquinghen ; et faisoit ce soir le guet le comte de Devensière. Là eut grande escarmouche et forte, et maint homme renversé et bouté jus par terre des glaives. Mais les Anglois furent là plus forts que ceux de la ville ne furent : si furent reculés et reboutés ens ès barrières et en la porte à force. Si en y eut des leurs, que morts que pris, environ dix sept. Et là fut trait à l’escarmouche un chevalier anglois qui s’appeloit messire Hugues Tiriel, et féru tout parmi son bassinet, de laquelle navrure il mourut. Adonc se retrairent toutes gens à leurs logis, et n’y eut plus nulle chose faite celle nuit : mais tous les capitaines de Nantes furent à conseil ensemble que, la nuit de Noël, à toute leur puissance, ils istroient de la ville et viendroient en l’ost faire une escarmouche forte et grande, et tinrent tout cela entre eux en secret.

Le comte de Bouquinghen et les Anglois étoient ainsi réveillés moult souvent des François et des Bretons qui en Nantes se tenoient ; et d’autre part, sur les champs, les fourriers avoient moult de peine en quérant vivres et fourrages pour les chevaux, et n’osoient chevaucher fors en grands routes ; et étoient le comte de Bouquinghen et son conseil moult émerveillés du duc de Bretagne, qui point ne venoit, ni dont ils n’oyoient nulles nouvelles ; et s’en contentoient mal, car de tout en tout ils trouvoient et avoient trouvé en lui foible convenant, et ne s’en savoient à qui plaindre qui droit leur en fit. Et eurent conseil, environ le Noël, que ils envoieroient de rechef messire Robert Canolle et messire Thomas de Percy, et messire Thomas Trivet devers lui, à Vennes ou à Hainbont, et ceux lui remontreroient de par le comte que il faisoit trop mal quand autrement il ne s’acquittoit envers eux. Et puis fut cil propos rompu et brisé ; et dirent, quand ils eurent entr’eux tout considéré et imaginé, que ils ne pouvoient bonnement ce faire ni affoiblir leur siége, et que on ne pouvoit aller devers le duc fors que tout ensemble ; car si ils y alloient cinq ou six cens lances, et ils en trouvoient sur le pays mille ou quinze cens de leurs ennemis, ce leur seroit un trop grand contraire ; si pourroient trop bien être rués jus, et les allans et les demeurans au siége. Pour celle doute, tant que à celle fois, ne se départit nul de l’ost, mais se tinrent encore tous ensemble.

Quand ce vint à la vigille de Noël au soir, le Barrois des Barres, messire Amaury de Cliçon, le sire d’Amboise, le sire de Selete, le chastelain de Clisson, Jean de Chastel-Morant, Morfonace et tous les capitaines de Nantes, issirent hors par la porte Saint-Pierre, en grand’volonté que de bien faire la besogne ; et avoient en leurs routes bien six cents hommes d’armes ; et se départirent, quand ils furent hors de la porte, en deux parties : l’une des parties s’en vint parmi la rue, et l’autre parmi les champs, au logis du seigneur Latimer et du seigneur de Fit-Vatier, et faisoient le guet messire Yon Fit-Varin et messire Guillaume Draiton ; et de première venue ils gagnèrent toutes les bailles du