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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et ferez partir les vôtres, et ne nous ferez ni consentirez faire dommage ni moleste. » — « Par ma foi ! dit le comte de Bouquinghen, je le vous jure ainsi et le tiendrai. » Et après les seigneurs firent-ils jurer sur leurs fois et sur saintes Évangiles de tenir le serment que le comte avoit fait. Et ils s’y accordèrent légèrement ; et faire leur convenoit si ils ne vouloient dormir aux champs.

Ainsi fut le comte de Bouquinghen logé en la cité de Vennes et son corps en l’hôtel du duc, un moult plaisant chastel qui siéd dedans la ville et est nommé la Motte, et tous ceux de sa bataille furent logés en la ville et ès faubourgs. Et le duc de Bretagne s’en vint à Suseniot et là se tint : mais à la fois il venoit voir le comte, et avoient parlement ensemble, et puis s’en retournoit là d’où il étoit parti. Le sire de Latimer, le sire de Fit-Vatier, messire Thomas de Percy, messire Thomas Trivet et l’avant-garde, devoient être logés à Hainbont, mais oncques on ne leur voult ouvrir les portes, et les convint loger aux champs et ens ès faubourgs. Messire Robert Canole et méssire Hue de Cavrelée, le sire de Fit-Varin et plusieurs auteurs devoient être logés en la ville de Camper-Corentin ; on ne leur voult oncques ouvrir les portes, et les convint loger ens ès faubourgs et aux champs : messire Guillaume de Vindesore, et ceux de l’arrière garde devoient aussi être logés dans la ville de Camperlé, mais oncques on ne leur voult ouvrir les portes ; mais furent logés dedans les faubourgs et aux champs. Si souffrirent et endurèrent, le terme qu’ils furent là, moult de povretés et de malaise ; car ce qui ne vaioît que trois deniers on leur vendoit douze, encore n’en pouvoient-ils recouvrer. Si mouroient leurs chevaux de faim, de froid et de povreté, et ne savoient où aller en fourrage ; et quand ils y alloient, c’étoit en grand péril, car les terres voisines leur étoient toutes ennemies. Le vicomte de Rohan a en la marche de Vennes deux forts chasteaux et grands, l’un appelle-t-on le Kaire et l’autre Linguighant. En ces deux chasteaux avoit grand’garnison de gens de par le vicomte, qui portoient trop de contraire aux fourriers anglois ; et en ruèrent maint jus et occirent, avec trois autres garnisons au seigneur de Cliçon qui sont aussi en celle frontière, c’est à savoir Chastel-Jocelin, Montagu, Moncontour. Et tout ce souffroit le duc de Bretagne, et disoit que il ne pouvoit amender ; car voirement le connétable de France, le seigneur de Cliçon, faisoit guerre pour le roi de France, et se tenoit sur le pays à grands gens d’armes : de quoi les Anglois ne se osoient ouvrir ni partir l’un de l’autre, et encore, tout regardé et considéré comment ils étoient logés aux champs à nulle défense, merveille fut que ils ne reçurent plus de dommages ; car ceux de Vennes soudainement ne pussent avoir reconforté ceux de Hainbont, ni ceux de Camperlé, ni ceux de Camper-Corentin. Mais au voir dire, le duc alloit au devant, et les gardoit et défendoit de tout son pouvoir de être envahis ni assaillis ; et bien disoit en son requoi et en son conseil que foiblement et povrement, selon ce qu’il avoit promis aux Anglois, il s’étoit acquitté envers le comte et ses gens.


CHAPITRE LXXVII.


Comment quatre barons de Bretagne remontrèrent au duc leur seigneur que il se déportât de l’accointance des Anglois et la cause pourquoi ; et d’aucuns faits d’armes qui furent accordés à faire.


En ce temps étoient à Paris, devers le roi de France, de par le duc envoyés, quatre hauts barons de Bretagne qui lui pourchassoient sa paix ; c’est à savoir : le vicomte de Rohan, messire Charles de Dinan, messire Guy sire de Laval et messire Guy sire de Rochefort ; et l’avoient ces quatre barons de Bretagne, en conseil, le comte de Bouquinghen étant à siége devant Nantes, ainsi que efforcé ; et lui avoient remontré par plusieurs fois moult sagement en disant celles paroles : « Monseigneur, vous montrez à tout le monde que vous avez le courage tout anglois. Vous avez mis et amené ces Anglois en ce pays, qui vous touldront votre héritage, et touldroient si ils en étoient au dessus. Quel profit ni plaisance prenez-vous en eux tant aimer ? Regardez comme le roi de Navarre qui se confioit en eux, et les mit dedans la ville et le chastel de Chierbourch, oncques depuis ils ne s’en vouldrent partir ni ne partiront, mais le tiendront comme leur bon héritage ; aussi, si vous les eussiez jà mis et semés en vos villes fermées en Bretagne, ils ne s’en partissent jamais ; car tous les jours seroient-ils rafreschis de leurs gens. Regardez comment ils tiennent Brest, ils n’ont nulle volonté de le vous rendre, qui est de votre droit domaine et héritage, et n’est pas duc de Bretagne qui n’est sire de Brest. Pensez