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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/131

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LIVRE II.

à ce que vous avez un des plus beaux héritages de chrétienté sans couronne. Si vous suffise à tant votre seigneurie, mais que vous soyez aimé de vos gens de la duché de Bretagne et des gens d’iceluy pays qui ne relinquiront jamais le roi de France pour servir et être au roi d’Angleterre. Si votre mouillier est d’Angleterre, quoi de ce ? Voulez-vous pour ce perdre votre héritage qui tant vous a coûté de peine et de travail à l’avoir, et toujours demeurer en guerre ? Vous ne pouvez que un homme, au cas que le pays le veut clorre contre vous. Laissez-vous conseiller. Le roi de France espoir que vous n’aviez pas bien en grâce, ni il vous, est mort. Il y a à présent un jeune roi et de bel et de bon esprit ; et tel héoit le père qui servira le fils. Nous vous ferons votre paix envers lui et mettrons à accord ; si demeurerez sire et duc de Bretagne ; et les Anglois s’en retourneront tout bellement en leur pays, »

Telles paroles et plusieurs autres toutes colorées avoient ces barons dessus nommés par moult de fois remontré au duc ; et tant que ils l’avoient ainsi que demi conquis à faire leur volonté. Mais encore se feignoit-il et dissimuloit contre le roi de France et son conseil et contre les Anglois, tant que il verroit à quelle fin il en pourroit venir. Et de tous ces traités secrets et couverts que ces quatre barons de Bretagne qui étoient à Paris faisoient devers le roi et ses oncles, ne savoient rien le comte de Bouquinghen ni les barons d’Angleterre, ni ne sçurent jusques à fin de ordonnance. Mais ainçois que ils s’en aperçussent ni que ils ississent hors de Bretagne, il y ot un fait d’armes et une joute devant Vennes, présens le comte de Bouquinghen et les seigneurs qui là étoient. De laquelle nous vous ferons mention, car telles choses ne sont mie à oublier ni à taire.


CHAPITRE LXXVIII.


Comment aucuns François et Anglois prirent armes en Bretagne, et comment aucuns Hainuiers et autres eurent volonté d’en faire.


Avenu étoit, très le jour et le terme que Gauvain Micaille et Janekin Kator firent fait d’armes devant le comte de Bouquinghen et les seigneurs, que avec le dit Gauvain et en sauf-conduit, pour voir les armes, aucuns chevaliers et écuyers de France étoient venus à Marcheaunoy, en la comté de Blois, et tant que messire Regnault de Thouars, sire de Puisance, un baron de Poitou, en prit parole au seigneur de Vertaing, et dit que volontiers il feroit fait d’armes à lui de trois coups de lance, de trois coups d’épée et de trois coups de hache. Le sire de Vertaing ne le voult mie refuser, mais les lui accorda ; et les voult tantôt faire et délivrer le chevalier, auquel dommage ni profit que ce fût ; mais le comte de Bouquinghen ne le voult, et commanda que adonc ils n’en fissent rien. Non pourquant les paroles des emprises d’armes demeurèrent au propos des deux chevaliers. Et telles paroles ou semblables eurent là ce jour à Marcheaunoy un écuyer de Savoie, qui s’appeloit le Bâtard de Clarens, à Édouard de Beauchamp, fils à messire Roger : mais toutes passèrent adonc ainsi, li uns comme li autres, et le Gallois d’Aunoy à messire Guillaume Clinton ; et messire Lyonnaulx d’Arraines à messire Guillaume Franc.

Quand le comte de Bouquinghen et les Anglois furent logés ens ès faubourgs de Nantes, si comme ci-dessus est dit, ces chevaliers et écuyers du côté des François étoient dedans Nantes : si requirent le sire de Vertaing et les autres de son lez, et firent requerre à ceux qui les avoient appelés d’armes, que devant Nantes ils les voulsissent délivrer[1]. Les capitaines de Nantes n’eurent mie conseil de ce faire ni accorder, et excusèrent leurs gens ; et disoîent que ils étoient en Nantes comme souldoiers et commis et ordonnés pour garder la ville. Ces paroles se passèrent, tant que le comte de Bouquinghen fut venu et arrêté à Vennes, et les autres seigneurs à Hainbont, à Camperlé et à Camper-Corentin, ainsi que vous le savez. Quand ils furent là arrêtés, messire Regnault de Thouars, messire le Barrois des Barres, messire Lyonnaulx d’Arraines et grand’foison de chevaliers et écuyers, s’en vinrent au Chastel-Jocelin, à sept lieues de Vennes, là où le connétable de France se tenoit et le comte de la Marche et grand’foison de chevaliers de France, qui volontiers les virent, et bellement les recueillirent. Adonc s’émurent les paroles devant le connétable, en remontrant comme ils avoient entrepris, tels et tels, faire faits d’armes aux Anglois. Le conné-

  1. Acquitter de leurs engagemens.