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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/139

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LIVRE II.

une quantité, et le demeurant se apaisèrent. Adonc mandèrent ceux de Bruges le comte qui étoit à Lille que, pour Dieu, il vînt vers eux ; car ils le tenoient à seigneur et étoient maîtres des petits. Le comte de Flandre entendit volontiers ces nouvelles et se départit de Lille, messire Guillaume de Namur en sa compagnie et grand’foison de chevaliers et écuyers de Flandre, et s’en vint à Bruges où il fut reçu à grand’joie, parmi le bon conseil que il eut adonc. Et furent pris à Bruges à la venue du comte tous ceux principaument qui avoient les cœurs gantois et qui en étoient soupçonnés de l’avoir ; et en furent mis en la Pierre en prison plus de cinq cents, lesquels petit à petit on décoloit.

Quand ceux du Franc[1] entendirent que le comte de Flandre étoit paisiblement à Bruges, si se doutèrent et se mirent tantôt en la mercy du comte, lequel les prit et en eut grand’joie, car son pouvoir en croissoit tous les jours. Et aussi ceux du Franc ont toujours été de la partie du comte plus que tout le demeurant de Flandre. Quand le comte se vit au-dessus de ceux de Bruges et du Franc, et que il avoit de-lez lui chevaliers et écuyers du pays de Hainaut et d’Artois, si se avisa que petit à petit il reconquerroit son pays et puniroit les rebelles. Et premièrement il ordonna et dit que il vouloit aller voir ceux de Yppre ; car il les haioit trop grandement de ce que ils ouvrirent leurs portes si légèrement devant ceux de Gand ; et dit bien que ceux qui ce traité avoient fait, que de mettre dedans ses ennemis et de occire ses chevaliers, le comparroient cruellement, mais que il en pût être au-dessus. Adonc fit-il son mandement parmi le Franc de Bruges, que tous fussent appareillés, car il vouloit aller devant Yppre. Ces nouvelles vinrent à Yppre que le comte leur sire s’ordonnoit pour eux venir voir et assaillir : si orent conseil de signifier à ceux de Gand ces nouvelles, afin que ils leur envoyassent gens et conforts ; car ils n’étoient mie forts assez de eux tenir sans l’aide des Gantois, qui leur avoient promis et juré faire secours toutes fois que il leur besoigneroit. Si envoyèrent couvertement lettres et messages à Gand aux capitaines, et leur signifièrent l’état du comte, comment il les menaçoit de venir assiéger et assaillir. Ceux de Gand regardèrent que ils étoient tenus par foi et par serment à eux conforter. Si avisèrent premièrement deux capitaines Jean Boulle et Arnoux Clerc et leur dirent : « Vous prendrez quatre mille hommes des nôtres et irez hâtivement à Yppre, et conforterez ceux de Yppre, ainsi que nos bons amis. » Tantôt à celle ordonnance se départirent tous ceux qui ordonnés y furent, les quatre mille, et s’en vinrent à Yppre ; dont ceux de la ville eurent grand’joie. Le comte de Flandre issit de Bruges atout grands gens et s’en vint à Tourout, et le lendemain à Pourpringhe, et là séjourna trois jours, tant que toutes ses gens furent venus ; et étoient bien environ vingt mille hommes.


CHAPITRE LXXXVII.


Comment ceux d’Yppre se mirent sur les champs en armes pour aller avec les Gantois combattre le comte Louis leur seigneur, et comment ils furent rués jus par le bâtard de Flandre, par le seigneur d’Enghien et autres.


Ceux de Gand qui savoient bien ces convenances et comment le comte vouloit puissamment aller devant la ville de Yppre, regardèrent que ils assembleroient leur puissance et s’en iroient par Courtray vers Yppre, et feroient vuider ceux de Yppre, et combattroient le comte et ses gens ; et si ils les pouvoient une bonne fois ruer jus, jamais ils ne se relèveroient. Adonc se départirent de Gand tous les capitaines, Rasse de Harselles, Piètre du Bois, Piètre de Wintre, Jean de Lannoy et plusieurs autres qui étoient centeniers et cinquanteniers, par paroisses ; et se trouvèrent aux champs plus de neuf mille ; et cheminèrent tant que ils vinrent à Courtray où ils furent reçus à grand’joie, car Jean de Lannoy en étoit capitaine. Le comte de Flandre, qui se tenoit à Pourpringhe et là environ, entendit que ceux de Gand venoient vers Yppre et que jà ils étoient à Courtray ; si eut sur ce avis, et tint tous ses gens ensemble. Ceux de Gand qui étoit venus à Courtray s’en partirent et s’en vinrent à Routiers ; et là s’arrêtèrent et envoyèrent dire à ceux de Yppre que ils étoient là venus, et que si ils vouloient issir hors atout ceux que ils leur avoient envoyés, ils se trouveroient gens assez pour aller combattre le comte.

De ces nouvelles furent ceux de Yppre moult réjouis et en grand’volonté de ce faire, ainsi que ils le montrèrent ; et se départirent tantôt au matin

  1. On appelait ainsi la banlieue de Bruges qui formait une commune à part.