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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/143

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LIVRE II.

les gens du comte furent venus. Et traioient canons et arbalêtres de une part et d’autre à effort, dont des carreaux, tant des canons que des arbalêtres, il en y eut plusieurs morts et blessés. Et trop bien se portoient là les Gantois ; car ils reculèrent leurs ennemis, et conquirent par force et par armes la bannière des orfévres de Bruges ; et fut jetée dedans l’eau et souillée, et en y eut de ces orfévres, et aussi des autres gens, grand’foison de morts et de blessés ; et par espécial messire Josse de Hallevin y fut occis, dont ce fut dommage : et retournèrent ceux qui là furent envoyés, sans rien faire ; ainsi se portèrent vaillamment les Gantois.


CHAPITRE XCII.


Comment six mille compagnons partirent de Gand durant le siége et allèrent par assaut gagner et piller et ardoir les villes de Alost, Tenremonde et Grantmont, puis retournèrent à Gand.


Le siége étant devant Gand par la manière que le comte l’avoit assis, y eut fait plusieurs escarmouches autour de la ville ; car le sire d’Enghien et le sénéchal de Hainaut, et le Hazle de Flandre en trouvèrent à la fois à découvert, dont ils ne prenoient nulles rançons ; et aucunes fois ils étoient reboutés si dur que ils n’avoient mie loisir de regarder derrière eux. Adonc se recueillirent en la ville de Gand six mille hommes moult aidables, et eurent Rasse de Harselles, Arnoux Clerc et Jean de Lannoy à capitaines ; et se partirent de Gand sans le danger de l’ost ; et cheminèrent vers Alost, qui lors étoit une bonne ville et bien fermée ; et y avoit le comte mis en garnison plusieurs chevaliers et écuyers. Mais quand ceux de Gand furent venus, ils se portèrent si vaillamment, que par assaut ils conquirent la ville ; et convint messire Louis de Marbais, messire Godefroi de la Tour et messire Philippe le Jeune, et plusieurs autres chevaliers et écuyers, partir et vuider hors par la porte de Bruxelles, autrement ils eussent été morts. Et fut adonc par les Gantois Alost toute arse, portes et tout, et y conquirent moult grand pillage ; et de là ils vinrent devant Tenremonde, qui est forte ville ; mais adonc par assaut ils la conquirent ; et y furent morts messire Philippe de Mamines et plusieurs autres. Et furent les Gantois seigneurs de la ville, et non pas du châtel ; car le sire de Widescot le tint vaillamment avec ses compagnons contre eux. Et de là vinrent les Gantois devant Grantmont, qui s’étoit nouvellement tournée devers le comte, par l’effort et traité du seigneur d’Enghien ; et ne sais s’il y eut trahison ou autre chose, mais adonc les Gantois y entrèrent de force. Et en y eut de ceux de dedans moult de morts. Et quand ils eurent fait ces voyages, ils s’en retournèrent en Gand atout grand butinage et grand profit.


CHAPITRE XCIII.


Comment le comte Louis de Flandre voyant l’hiver approcher et la ruine de Alost, de Tenremonde, de Grantmont et du plat pays, leva le siége de devant Gand, et comment au printemps il se remit aux champs et les Gantois aussi.


Quand le comte de Flandre vit que il perdoit son temps à seoir devant Gand, et quoique il sist là à grands frais et à grand’peine pour lui et pour ses gens, ceux de Gand ne laissoient mie à issir ni ardoir le pays, et avoient conquis Alost, Tenremonde et Grantmont, si eut conseil que il se départiroit de là, car l’hiver approchoit. Si se départit, et renvoya ses gens en leurs maisons rafreschir, et renvoya le seigneur d’Enghien et le seigneur de Montigny en Audenarde en garnison ; et avoient, sans les gens d’armes, deux cens bons archers d’Angleterre, dont on faisoit grand compte ; et le comte s’en vint à Bruges. Si firent ces seigneurs, qui en Audenarde se tenoient, plusieurs belles issues sur les Gantois ; et étoient presque toujours sur les champs, ni ne pouvoit nul aller à Gand, ni porter vivres ni autres marchandises à peine que il ne fût aconsui.

Quand l’hiver fut passé et ce vint sur le mois de mars[1], le comte de Flandre rassembla toutes ses gens et manda ceux de Yppre, de Courtray, de Popringhe, du Dan, de l’Écluse et du Franc, et se partit de Bruges avec ceux de Bruges et s’en vint à Malle, et là se tint une espace ; et fit de toutes ses gens d’armes, encore avec ceux de Lille, de Douay et d’Audenarde, souverain capitaine le seigneur d’Enghien. Les gens du comte, qui étoient bien vingt mille, si comme on disoit, se ordonnèrent pour venir devant Gavres, où Jean de Lannoy se tenoit. Quand Jean sçut la venue du comte et des gens d’armes, il le signi-

  1. Le mois de mars 1382, suivant le nouveau style ; il était compris dans l’année 1381, suivant l’ancien style, Pâques se trouvant cette année le 6 avril.