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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/163

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LIVRE II.

par belles paroles, c’est le meilleur et le plus profitable. Et leur accordez tout ce que ils demandent liement ; car si nous commençons chose que nous ne puissions achever, il n’y auroit jamais nul recouvrer, que nous et nos hoirs ne fussions détruits, et toute Angleterre déserte et en ruine. » Cil consaulx fut tenu, et le maire contremandé que il se tenist tout quoi, et ne fît nul semblant de émouvement. Il obéit ; ce fut raison. En la ville de Londres avecques le maieur a douze échevins[1] : les neuf étoient pour lui et pour le roi, si comme ils le montrèrent ; et les trois de la secte de ce méchant puepple, si comme il fut depuis sçu et connu ; dont ils le comparèrent moult chèrement.


CHAPITRE CXII.


Comment ces paysans anglois occirent au château de Londres l’archevêque de Cantorbie et autres, et de leurs dérisions.


Quand ce vint le vendredi au matin, ce peuple qui étoit logé en la place Sainte-Catherine devant la tour, se commencèrent à appareiller et à crier moult haut, et à dire que si le roi ne venoit parler à eux, ils assaudroient le chastel et le prendroient de force, et occiroient tous ceux qui étoient dedans. On douta ces paroles et ces menaces, et ot le roi conseil que il istreroit pour parler à eux ; et leur envoya dire qu’ils se traissent tous au dehors de Londres, en une belle place que on dit Milinde[2], et sied au milieu de une belle prée, où les gens vont ébattre en été ; et là leur accorderoit le roi et octroiroit tout ce que ils demandoient ou voudroient demander. Le maire de Londres leur nonça tout cela ; et fit le cri, de par le roi, que quiconque voudroit parler au roi qu’il allât en la place dessus dite, car le roi iroit sans faute. Adonc se commencèrent à départir ces gens, les communes des villages, et eux à traire et à aller celle part ; mais tous n’y allèrent mie ; et n’étoient mie tous d’une condition ; car il en y avoit plusieurs qui ne demandoient que la richesse et la destruction des nobles, et Londres être toute courue et pillée. Ce étoit la principale cause pourquoi ils avoient ce commencé. Et bien le montrèrent ; car si très tôt que la porte du chastel fut ouverte et que le roi en fut issu, le comte de Sallebery, le comte de Warvich, le comte d’Asquesuffort, messire Robert de Namur, le sire de Wertaing, le sire de Gommignies et plusieurs autres, Wautre Tuillier, Jacques Strau, Jean Balle, et, plus de quatre cents entrèrent dedans le chastel, l’efforcèrent, saillirent de chambre en chambre et trouvèrent l’archevêque de Cantorbie, que on appeloit Simon[3], vaillant homme et prudhomme, chancelier d’Angleterre, lequel avoit tantôt fait le divin service et office, et célébré messe devant le roi : et fut pris de ces gloutons et tantôt décolé. Aussi fut le grand prieur de l’hôpital Saint-Jean[4], et un frère mineur maître en médecine, lequel étoit au duc de Lancastre, et pour ce fut-il mort en dépit de son maître ; et un sergent d’armes du roi, appelé Jean Laige[5]. Et ces quatre têtes mirent sur longues lances, et les faisoient porter devant eux parmi les rues de Londres ; et quand ils en eurent assez joué, ils les mirent sur le pont de Londres, comme s’ils eussent été traîtres au roi et au royaume. Encore entrèrent ces gloutons en la chambre de la princesse et dépecèrent son lit, dont elle fut si épouvantée que elle s’en pâma ; et fut de ses varlets et chambrières prise entre leurs bras, et apportée bas par une poterne sur le rivage et mise en un batel, et là couverte et amenée par la rivière en la Ryole[6], et puis menée en un hôtel que on dit la Garde-robe de la roine ; et là se tint tout le jour et toute la nuit, ainsi que une femme demi-morte[7], tant qu’elle fut reconfortée

  1. Appelés Aldermen.
  2. Mile’s end.
  3. Symon Sudbury.
  4. Robert Hales, trésorier d’Angleterre.
  5. Ce Legg avait été le commissaire le plus odieux dans la levée du dernier impôt.
  6. Hollinshed dit : To the place called the Queen’s-Wardrobe or the Tower-Ryall. Froissart l’appelle aussi ailleurs la Garderobe de la reine.
  7. La description de Walsingham est plus étendue que celle de tous les autres historiens et donne une idée fort nette de la terreur qu’avait inspirée à toute la cour cette audace nouvelle d’hommes qui n’étaient pas chevaliers. On en jugera par ce seul passage.

    Erant eo tempore in ipsa turri sexcenti viri bellici, armis instructi, viri fortes et expertissimi, et sexcenti sagittarii, qui omnes (quod mirum est) animo ita conciderant, ul eos magis similes mortuis quam vivis reputares. Mortua enim erat in eis omnis memoria quondam bene gestæ militiæ, extincta recordatio ante habiti vigoris et gloriæ, et ut concludam breviter, emarcuerat a facie rusticorum pene totius Loegriæ omnis audacia militaris. Nam quis unquam credidisset, non solum rusticos, sed rusticorum abjectissimos, non plures, sed singulos, audere thalamum regis vel matris ejus, cum baculis subintrare vilissimis, et umumquemque de militibus deterrere