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LIVRE II.

roi que on appeloit Nicolas Branbre, et amena avecques lui une grand’route de bonnes gens d’armes. Et tout ainsi comme ils venoient, ils se rangeoient et se mettoient tous à pied et en bataille de-lez le roi, d’une part. D’autre part étoient tous ces méchans gens tous rangés, et montroient que ils se vouloient combattre ; et avoient les bannières du roi avec eux. Là fit le roi trois chevaliers ; l’un fut le maieur de Londres, messire Jean Walourde, l’autre fut messire Jean Standuich, et l’autre fut messire Nicolas Branbre. Adonc parlementèrent les seigneurs qui là étoient et disoient : « Que ferons-nous ? Nous véons nos ennemis qui nous eussent volontiers occis, si ils vissent que ils en eussent le meilleur. » Messire Robert Canolle conseilloit tout outre que on les allât combattre et tous occire ; mais le roi ne s’y assentoit nullement, et disoit que il ne vouloit pas que on fit ainsi : « Mais je veuil, dit le roi, que on voise requerre mes bannières ; et nous verrons, en demandant nos bannières, comment ils se maintiendront : toutefois, ou bellement ou autrement, je les vueil r’avoir. » — « C’est bon, » dit le comte de Sallebery. Adonc furent envoyés ces trois nouveaux chevaliers devers eux. Ces chevaliers leur firent signe que ils ne traissent point, car ils venoient là pour traiter. Quand ils furent venus si près que pour parler et pour être ouïs, ils dirent : « Écoutez, le roi vous mande que vous lui renvoyez ses bannières, et nous espérons que il aura merci de vous. » Tantôt ces bannières furent baillées et rapportées au roi. Encore fut là commandé à ces vilains, de par le roi et sur les têtes, que qui auroit lettres du roi impétrées il les remit avant. Les aucuns, non mie tous, les rapportoient. Le roi les faisoit prendre et descirer en leur présence. Vous devez et pouvez savoir que sitôt que les bannières du roi furent rapportées, ces méchans ne tinrent nul arroi, mais jetèrent la greigneur partie leurs arcs jus, et se déroutèrent et se retrairent vers Londres. Trop étoit courroucé messire Robert Canolle, de ce que on ne leur couroit sus et que on n’occioit tout. Mais le roi ne le vouloit consentir ; et disoit qu’il en prendroit bien vengeance, ainsi qu’il fit depuis.

Ainsi se départirent et se dégâtèrent ces folles gens l’un çà, l’autre là ; et le roi, les seigneurs et leurs routes rentrèrent ordonnément en Londres à grand’joie. Et le premier chemin que le roi fit, il vint devers sa dame de mère la princesse, qui étoit en un chastel en la Riole que on dit la Garde-robe la roine, et là s’étoit tenue deux jours et deux nuits, moult ébahie : il y avoit bien raison. Quand elle vit le roi son fils, elle fut moult réjouie et lui dit : « Ha, beau fils ! comme j’ai hui eu grand’peine pour vous et grand angoisse ! » Donc répondit le roi et dit : « Certes, madame, je le sais bien ; or yous réjouissez et louez Dieu, car il est heure de louer Dieu ; car j’ai aujourd’hui recouvré mon héritage et le royaume d’Angleterre que j’avois perdu. » Ainsi se tint ce jour le roi de-lez sa mère, et les seigneurs s’en allèrent paisiblement chacun en son hôtel. Là fut fait un cri et un ban de par le roi, de rue en rue, que tantôt toutes manières de gens qui n’étoient de la nation de Londres, ou qui n’y avoient demeuré un an entier, partissent ; et si ils y étoient sçus ni trouvés le dimanche au soleil levant, ils seroient tenus comme traîtres envers le roi et perdroient les têtes. Ce ban fait et ouï, on ne l’osa enfreindre ; et se départirent incontinent, ce samedi, toutes gens, et s’en allèrent, tout desbaretés, en leurs lieux. Jean Balle et Jacques Strau furent trouvés en une vieille masure reposts, qui se cuidoient embler ; mais ils ne purent ; car de leurs gens mêmes ils furent accusés. De leur prise furent le roi et les seigneurs grandement réjouis, car on leur trancha les têtes, et de Tuillier aussi, combien qu’il fût par avant mort ; et furent mises sur le pont à Londres et ôtées celles des vaillans hommes que le jeudi ils avoient décolés. Ces nouvelles s’espardirent tantôt environ Londres. Tous ceux des étranges contrées qui là venoient et qui là de ces méchans gens mandés étoient, si se retrairent tantôt en leurs lieux, ni ils ne vinrent, ni osèrent venir plus avant.


CHAPITRE CXVI.


Comment le duc de Lancastre retourna d’Escosse en Angleterre quand il y eut besogne, et comment le capitaine de Bervich lui refusa la cité et le passage.


Or vous parlerons du duc de Lancastre qui étoit sur les marches d’Escosse, en ces jours que ces aventures avinrent et cils rebellemens du peuple en Angleterre, et traitoit aux Escots, au comte de Douglas et aux barons d’Escosse. Bien