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LIVRE II.

laume ; et lui vinrent grand’chevalerie et gens d’armes du pays d’Artois et de Hainaut : car pour lors il étoit comte d’Artois, et étoit la comtesse d’Artois, sa mère, nouvellement trépassée[1].


CHAPITRE CXXII.


Comment le siége étant devant Gand, le seigneur d’Enghien alla assiéger la ville de Grantmont, qu’il conquit et fit ardoir et exillier.


À ce mandement et assemblée ne s’oublia mie le sire d’Enghien, mais le vint servir atout ce qu’il pot, par raison, avoir de gens ; et étoit bien accompagné de chevaliers et écuyers de la comté de Hainaut. Si vint le comte mettre le siége devant Gand, au lez devers Bruges et au lez devers Hainaut. Si y ot fait, le siége durant et étant, mainte escarmouche ; et issoient souvent aucuns compagnons légers de Gand, qui alloient à l’aventure ; dont aucunes fois ils étoient reboutés à leur dommage, et à la fois aussi ils gagnoient. Et celui qui le plus de faits d’armes y faisoit, et qui le plus de renommée en avoit, c’étoit le jeune sire d’Enghien. En sa compagnie et en sa route se mettoient volontiers, par usage, tous jeunes bacheliers qui désiroient les armes. Et s’en vint le sire d’Enghien, à bien quatre mille hommes, tous bien montés, sans ceux de pied, mettre le siége devant la ville de Grantmont ; car elle étoit Gantoise. Autrefois y avoit le sire d’Enghien été et eux travaillé et hérié ; mais rien n’y avoit conquêté. Or y vint-il à cette fois puissamment et par grand’ordonnance ; et la fit par un dimanche assaillir en plus de quarante lieux ; et il même à l’assaut ne se faigny mie ; mais s’y éperonna de grand’volonté, et bouta hors ce jour premièrement à cel assaut sa bannière.

Cet assaut fut grand, fort et bien continué, et la ville de tous lez assaillie si aigrement et si ouniement que, environ heure de nonne, elle fut prise et conquise ; et entrèrent dedans, par les portes, qui furent ouvertes et abattues, le sire d’Enghien et ses gens. Quand ceux de Grantmont virent que leur ville étoit perdue, et que du recouvrer n’y avoit point, si s’enfuirent ceux qui purent, par autres portes, au contraire de leurs ennemis ; et se sauva qui sauver se pot. Là ot grand’occision de hommes, de femmes et d’enfans ; car nuls n’étoient pris à merci ; et y ot plus de cinq cents hommes de la ville morts, et trop grand’foison de vieilles gens et de femmes, gissans en leurs lits, ars ; dont ce fut pitié ; car on bouta en la ville le feu en plus de deux cents lieux ; pourquoi toute la ville fut arse, moûtier et tout, ni rien ne demeura entier. Ainsi fut Grantmont moult persécutée et mise en feu et en flambe. Et puis retourna le sire d’Enghien en l’ost devant Gand, quand il ot fait cet exploit. De quoi le comte de Flandre lui en sçut très bon gré, et lui dit : « Beau-fils, en vous a vaillant homme ; et vous serez encore, si Dieu plaît, bon chevalier, car vous en avez très bon commencement. »


CHAPITRE CXXIII.


Comment messire Gaultier, seigneur d’Enghien, fut par les Gantois surpris, enclos et occis, et plusieurs autres, à une course qu’ils firent, dont ils ne sçurent retourner.


Après la destruction de la ville de Grantmont, qui fut par un dimanche, au mois de juin, tout arse et toute périe, se tint le siége devant Gand. Et là étoit le sire d’Enghien, qui s’appeloit Gaultier, qui petit reposoit et séjournoit en son logis ; mais quéroit tous les jours les armes et les aventures, une fois bien accompagné de si grand’foison de gens, qu’il reboutoit ses ennemis, et l’autre fois à si petit de gens que il n’osoit persévérer en ses emprises : si retournoit. Et presque tous les jours, ou par lui, ou par le Hazle de Flandre, y advenoit aventures. Et advint, environ un mois après, un jeudi au matin, que le sire d’Enghien étoit issu hors de son logis, en sa compagnie, le seigneur de Montigny, messire Michel de la Hamaide son cousin de-lez lui, le Bâtard d’Enghien son frère, Julien de Trisson, Hustin du Lay, et plusieurs autres de ses gens et de son hôtel ; et s’en alloient à l’escarmouche devant Gand, ainsi que autrefois avoient fait ; si se boutèrent si avant que mal leur en chey, car ceux de Gand avoient au dehors de leur ville fait une embûche de plus de cent compagnons, et tout picquenaires[2]. Et

  1. Marguerite II, comtesse d’Artois, fille du roi Philippe-le-Long, veuve de Louis Ier, comte de Flandre, et mère de Louis de Male, mourut le 9 mai 1382. L’année 1381 s’était terminée au 13 avril, Pâques se trouvant cette année le 14.
  2. Soldats armés d’une pique.