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LIVRE II.

les siens le suivirent que oncques n’y eut contredit. Quand ils furent tous dedans, ils se trairent devers la grosse tour où le capitaine dormoit, Robert Asneton ; et avoient bonnes grosses haches de quoi ils commencèrent à frapper en l’huis et à dérompre. Le capitaine s’éveilla soudainement, qui toute nuit avoit dormi et fait trop povre gait, tant que il le compara ; et ouvrit l’huis de sa chambre ; et cuida de premier que ce fussent ceux de là dedans qui le voulsissent meurtrir, pourtant que il avoit eu en la semaine un estrif à eux ; et ouvrit une fenêtre sur les fossés, et saillit hors tout effréé, sans ordonnance et sans avis, et tant que il se rompit le haterel et là mourut. La gaite du châtel qui sur le jour s’étoit un petit endormie ouit la frainte : si s’éveilla et aperçut bien que le châtel étoit échellé et emblé. Si commença à sonner en sa trompette : « Trahi ! trahi ! » Jean Bisset, qui étoit capitaine de Bervich et qui veilloit, entendit cette voix. Si s’arma et fit armer les plus aidables de la ville ; et se trairent tous devant le châtel ; et oyoient bien le hutin que les Escots faisoient là dedans ; mais entrer n’y pouvoient, car la porte étoit fermée et le pont levé. Lors s’avisa ce Jean Bisset d’un grand avis, et dit à ceux de la ville qui de lez lui étoient : « Or tôt, rompez les ponts au lez devers nous, parquoi ceux qui là dedans sont ne puissent saillir ni issir sans notre danger. » On courut tantôt aux haches et aux coignées ; et fut le pont devers la ville rompu. Encore envoya Jean Bisset un certain homme des siens à Anvich, à douze petites lieues de là, devers le seigneur de Percy, que tantôt et sans délai il vînt là à toute sa puissance, et que le châtel de Bervich étoit pris et emblé des Escots. Encore dit-il à Thoumelin Friant qu’il y envoya : « Dites à monseigneur de Percy le convenant où vous nous avez laissés, et comment les Escots sont enclos au châtel et n’en peuvent partir, fors au saillir hors par dessus les murs. Si se hâtera plustôt de venir. »


CHAPITRE XIV.


Comment le château de Bervich fut assiégé par les Anglois, et comment les Escots qui devoient lever le siége s’en retournèrent sans rien faire, et comment le dit château fut pris d’assaut.


Alexandre Ramesay et ses gens qui échellé avoient le château de Bervich, et qui trop bien cuidoient avoir exploité, et aussi avoient-ils fait, car ils eussent été seigneurs de la ville, si Jean Bisset n’y eût pourvu de conseil, prirent et occirent de ceux de là dedans desquels qu’ils voulurent, et les prisonniers enfermèrent en la tour, et puis s’ordonnèrent et dirent : « Allons jus en la ville, car elle est nôtre : nous en prendrons tout l’avoir et ferons apporter céans par les bons hommes de la ville ; et puis bouterons le feu en la ville, car elle n’est pas à tenir pour nous ; et dedans trois ou quatre jours nous viendra secours d’Escosse, par quoi nous sauverons tout notre pillage ; et au départir nous bouterons le feu en ce châtel : ainsi paierons-nous notre hôte. » À ce propos s’accordèrent tous les compagnons, car ils désiroient à gagner. Si restreignirent leurs armures, et prirent chacun le glaive au poing, car ils en avoient là dedans trouvé assez, et ouvrirent la porte et puis avalèrent le pont. Ainsi que le pont chéy, les cordes qui le portoient rompirent, car le pont n’eut point d’arrêt ni de soutenue ; car le banc sur quoi il devoit cheoir étoit ôté et les planches défaites au lez devers la ville. Quand Jean Bisset et ceux de la ville qui en la place étoient virent ce convenant, si commencèrent tous d’une voix à huer et à dire : « Tenez-vous là, Escots, sans faillir n’en partirez sans notre congé. » Quand Alexandre Ramesay en vit le convenant, si perçut bien que ceux de la ville avoient été avisés de eux mettre ens ou parti où ils se trouvoient. Si refermèrent la porte sur eux pour le trait[1] et s’enfermèrent là dedans. Si entendirent à garder leur châtel et mirent hors tous les morts ens ès fossés, et les prisonniers enfermèrent-ils en une tour. Bien se sentoient en forte place assez pour eux tenir là, tant que secours leur seroit venu d’Escosse, car les barons et les chevaliers faisoient leur amas à la Morlane[2] et là environ, et jà étoit le comte Douglas et messire Arcembaut Douglas partis de Dalquest[3] et venus à Dombarre. Or parlerons de l’écuyer Jean Bisset, comme il vint à Anvich[4] devers le seigneur de Percy et lui signifia cette aventure.

  1. Pour se garantir des flèches.
  2. Dans le comté de Merse.
  3. Dalkeith.
  4. Alnwick.