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CHRONIQUES DE J. FROISSART.


CHAPITRE XV.


Comment le comte de Northombrelande reprit le châtel de Bervich, et comment il entra en Escosse puissamment.


Tant exploita Thomelin Friant que il vint à Anvich et jusques à la porte, par la connoissance qu’il y eut ; car encore étoiti-il si matin que le sire de Percy étoit en son lit. Tant fit que il parla à lui, car la besogne le hâtoit, et lui dit : « Sire, les Escots cette nuit ont pris et emblé le châtel de Bervich, et le capitaine de Bervich m’envoie devers vous afin que vous en soyez avisé ; car vous êtes gardien de ce pays. » Quand le comte Henry de Northombrelande, sire de Percy, ouit ces nouvelles, si se hâta au plus tôt qu’il put pour conforter et conseiller ceux de Bervich ; et envoya messages et lettres partout en la contrée de Northombrelande aux chevaliers et écuyers du pays et à tous hommes dont il pensoit à être aidé, en eux mandant et signifiant que, tantôt et sans délai, ils vinssent à Bervich, car il alloit assiéger les Escots qui s’étoient boutés ens ou chàtel.

Ce mandement fut sçu parmi la contrée : donc se partirent de leurs hôtels toutes manières de gens d’armes, chevaliers et écuyers et archers ; et là vinrent le sire de Neuville, le sire de Lusy, le sire de Grascop, le sire de Stafort, le sire de Welles, le capitaine de Neufchâtel et un moult vaillant chevalier bon homme d’armes, qui s’appeloit messire Thomas Mousegrave ; et tout premier le comte de Northombrelande avecques ses gens s’en vint à Bervich ; dont ceux de la ville furent moult réjouis de sa venue.

Ainsi se fit le siége en celle saison des Anglois devant le châtel de Bervich ; et tous les jours incessamment venoient gens de tous pays. Et furent bien dix mille environnant le châtel par celle manière ; et l’assiégèrent de si près que un oiselet ne s’en pût partir sans congé. Et commencèrent les Anglois à faire mine pour plutôt venir à leur entente des Escots et de reprendre le châtel.

Nouvelles vinrent à ces barons et chevaliers d’Escosse que le comte de Northombrelande et les barons et chevaliers de cette contrée avoient assiégé leurs gens ens ou chàtel de Bervich ; si s’avisèrent l’un par l’autre que ils viendroient lever le siége et rafreschir le châtel. Et tenoient cette emprise de Alexandre de Ramesay à haute et belle ; et dit le connétable d’Escosse, messire Arcembault Douglas : « Alexandre est mon cousin, et lui vient de haute gentillesse d’avoir empris et achevé si haute emprise que d’avoir pris le châtel de Bervich ; si le devons tous à ce besoin conforter ; et si nous pouvons lever le siége, il nous tournera à grand’vaillance Et je veuil que nous allions celle part. » Donc ordonna-t-il lesquels demeureroient : si prit cinq cents lances à l’élite de tous les meilleurs d’Escosse ; et se partirent tous bien montés et en bon convenant, et chevauchèrent vers Bervich.

Ces nouvelles vinrent aux Anglois et aux barons de Northombrelande qui étoient à Bervich en grand’étoffe, car ils étoient bien dix mille hommes parmi les archers, que les Escots venoient pour lever le siége et rafreschir le châtel. Si eurent conseil tantôt comment ils se maintiendroient ; et dirent que ils prendroient place et terre, et les attendroient et les combattroient, car aussi les désiroient-ils à avoir. Et fit le sire de Percy toute manière de gens armer et appareiller et traire sur les champs et faire leur montre ; et se trouvèrent bien trois mille hommes d’armes et sept mille archers. Quand le comte de Northombrelande vit que ils étoient tant de gens, si dit : « Or nous tenons sur notre place ; nous sommes gens assez pour combattre toute la puissance d’Escosse. » Si se mirent en uns beaux plains, au dehors de Bervich, en deux batailles et en bonne ordonnance. Ils n’eurent pas là été une heure quand ils aperçurent aucuns coureurs Escots qui chevauchoient devant, trop bien montés, pour aviser les Anglois. Là eut aucuns chevaliers et écuyers d’Angleterre qui volontiers se fussent avancés de courir jusques à ceux que ils véoient chevaucher, qui ne leur eût rompu leur propos ; mais le sire de Percy leur disoit : « Souffrez-vous et laissez venir leur grosse route ; car si ils ont volonté de nous combattre, ils nous approcheront de plus près. » Ainsi se tinrent tout cois les Anglois ; et les Escots de si près vinrent sur les Anglois que bien avisèrent leurs deux batailles et quelle quantité de gens ils pouvoient bien être. Quand les coureurs Escots eurent avisé le convenant des Anglois, si retournèrent à leurs maîtres et leur recordèrent tout ce que ils avoient vu et trouvé, et leur dirent : « Seigneurs, nous avons chevauché si avant