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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

fut faite et la connoissance en fut venue à ceux de Gand par la relation faite de ceux des consaulx des trois pays, ils furent plus ébahis que oncques mais. Adonc, leur dit le baillif de Hainaut : « Beaux seigneurs, vous êtes tous en grand péril, et chacun de lui-même ; si ayez avis sur ce : car ce que le comte nous a dernièrement ordonné et signifié, nous le vous ferons certifier pleinement. Et quand vous vous serez pleinement mis en ce parti et en sa volonté, il ne fera pas mourir tous ceux que il verra en sa présence, mais aucuns qui l’ont plus courroucé que les autres ; et y aura tant de si bons moyens, avec pitié qui s’y mettra, espoir que ceux qui se cuident en péril et en danger de la mort venront à merci. Si prenez cette offre avant que vous la refusez ; car quand vous l’aurez refusé, espoir n’y pourrez-vous retourner. » — « Sire, répondit Philippe d’Arlevelle, nous ne sommes mie chargés si avant que les bonnes gens de la ville de Gand mettre en ce parti, ni jà ne le ferons. Et si les autres qui sont en Gand, nous revenus vers eux et remontré le propos de monseigneur, le veulent, jà pour nous ne demeurera que il ne se fasse. Si vous remercions grandement de la bonne diligence et du grand travail que vous avez eu en ces pourchas. » Adonc prirent-ils congé aux chevaliers et aux bourgeois des bonnes villes des trois pays, et montrèrent bien par semblant que ils n’accorderoient mie ce darrain propos ni traité. Si vinrent Philippe d’Artevelle et ses compagnons à leurs hostels, et payèrent partout, et puis retournèrent par Ath en Hainaut, en la bonne ville de Gand.

Ainsi se départit ce parlement fait et assemblé en instance de bien à Tournay ; et retourna chacun en son lieu. Encore a le comte de Flandre à demander quelle chose ceux de Gand avoient répondu, si petit les craignoit ni prisoit-il ; ni pour rien adonc il n’y voulsist nul traité de paix : car bien savoit que il les avoit si avant menés que ils n’en pouvoient plus, et il ne pouvoit nullement demeurer que il n’eût tantôt fin de guerre honorablement pour lui, et mettroit Gand à tel parti que toutes autres villes s’y exemplieroient.


CHAPITRE CLI.


Comment ceux de Paris se rebellèrent de rechef au roi.


En ce temps se rebellèrent encore ceux de Paris, pourtant que le roi de France ne venoit point à Paris, mais alloit tout à l’environ prendre ses ébattemens, sans entrer à Paris. Si se doutèrent que de nuit, par les gens d’armes, il ne fît efforcer Paris et courir la cité, et faire mourir lesquels que il voudroit ; et pour la doutance de ce péril et de celle aventure dont ils n’étoient pas bien assurés, ils faisoient dedans Paris toutes les nuits, par les rues et par les carrefours grands gaits, et levoient toutes les chaînes, afin que on ne pût chevaucher ni aller à pied entre eux. Et si nuls étoient trouvés après le son de neuf heures, si il n’étoit de leur connoissance ou de leurs gens, il étoit mort. Et étoient en la cité de Paris de riches et puissans hommes armés de pied en cap, la somme de trente mille hommes, aussi bien arréés et appareillés de toutes pièces comme nul chevalier pourroit être ; et avoient leurs varlets et leurs maisnies armés à l’avenant. Et avoient et portoient maillets de fer et d’acier, périlleux bâtons pour effondrer heaulmes et bassinets ; et disoient en Paris, quand ils se nombroient, que ils étoient bien gens, et se trouvoient par paroisses, tant que pour combattre de eux-mêmes, sans autre aide, le plus grand seigneur du monde. Si appeloit-on ces gens les routiers et les maillets de Paris.


CHAPITRE CLII.


Comment cinq mille Gantois se partirent de Gand pour aller assaillir le comte de Flandre, après la réponse que Philippe d’Artevelle leur avoit faite.


Quand Philippe d’Artevelle et ses compagnons rentrèrent en Gand, moult grand’foison de menu peuple qui ne désiroient que paix furent moult réjouis de leur venue, et cuidoient avoir et ouïr bonnes nouvelles. Si vinrent à l’encontre de lui ; et ne se purent abstenir que ils ne lui demandassent en disant : « Ha, cher sire Philippe d’Artevelle ! réjouissez-nous, dites-nous comment vous avez exploité. » À ces paroles et demandes ne répondoit point Philippe d’Artevelle ; mais passoit outre et baissoit la tête ; et plus se taisoit, et plus le suivoient et le pressoient d’ouïr nouvelles. Une fois ou deux en al-