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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/219

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LIVRE II.

Bruges, fit. Il entendit que messire Jean Bernage, messire Thierry d’Olbaing et messire Florens de Heulle tenoient la ville d’Audenarde et avoient tenue depuis la dure besogne de Flandre avenue devant Bruges ; et bien savoit que ces trois chevaliers n’étoient pas forts assez pour résister contre la puissance de Flandre, si ils venoient là pour mettre le siége. Ainsi on espéroit que aussi feroient-ils hâtivement. Adonc pour rafreschir la ville d’Audenarde et la pourvoir de toutes choses, le comte appela messire Daniaulx de Hallevin, et lui dit : « Daniel, vous vous en irez en Audenarde, et je vous en fais capitaine et souverain ; et aurez de votre route cent et cinquante lances de bonnes gens d’armes et cent arbalêtriers, et deux cents gros varlets à lances et à pavois. Si soignez de la garnison ; car je la vous en charge fiablement, et la faites hâtivement pourvoir de bleds, d’avoines, de chairs salées et de vins par nos bons amis de Tournay : il ne nous fauldront pas à ce besoin, selon notre espoir. » — « Monseigneur, répondit le chevalier, à votre ordonnance tout sera fait, et j’en prends le faix et la charge de la garde d’Audenarde, ni jà maux n’y aviendront par moi ni par ma deffaute. » — « Daniel, dit le comte, de ce suis-je tout conforté. »

Ne demeura guères de temps puis ce que messire Daniaulx de Hallewyn, établi capitaine souverain de Audenarde, s’en vint, à toute charge que avoir devoit et qui baillée lui fut de par le comte, bouter dedans la ville d’Audenarde ; dont ceux qui y étoient furent tous réjouis. Et y entrèrent le dix septième jour du mois de mai, et s’y tinrent toute la saison très honorablement ainsi que vous orrez recorder avant en l’histoire.

Avec messire Daniel de Hallewyn étoient de gens d’armes messire Louis et messire Gillebert de Lieureghien, messire Jean de Heulle, messire Florens de Heulle, messire Blanchard de Calonne, le sire de Rassenghien, messire Gérard de Marqueillies, Lambert de Lambres, Enguerrand Zendequin, Morelet de Hallewyn, Hanglenardin et plusieurs autres chevaliers et écuyers de Flandre, d’Artois et de la châtellerie de Lille ; et tant qu’ils se trouvèrent bien cent cinquante lances de bonnes gens d’armes hardis et entreprenants, et tous réconfortés de attendre le siége. Messire Daniel de Hallewyn, qui capitaine étoit, ne vouloit en la ville d’Audenarde avecques lui fors toute fleur de gens d’armes ; et bien y besognoit.

Quand Philippe d’Artevelle, qui se tenoit en Gand, entendit que ceux d’Audenarde étoient ainsi rafreschis de gens d’armes et de pourvéances, si dit que il y pourverroit de remède, et que ce ne faisoit mie à souffrir ; car c’étoit trop grandement au préjudice et au déshonneur du pays de Flandre que cette ville se tenoit ainsi : et dit qu’il y venroit mettre le siége, et jamais ne s’en partiroit si l’auroit abattue, et morts tous ceux qui dedans étoient, chevaliers et autres. Adonc fit-il un mandement par tout le pays de Flandre que tous fussent venus et appareillés dedans le neuvième jour de juin devant Audenarde. Nul n’osa désobéir ; tous s’appareillèrent des bonnes villes de Flandre et du Franc de Bruges, et vinrent mettre le siége devant Audenarde, et se étendirent par champs et par prés et par marais, tout à l’environ ; et là étoit Philippe d’Artevelle, leur capitaine souverain par qui ils s’ordonnoient tous, qui tenoit grand état devant Audenarde. Adonc fit-il une taille en Flandre, que chacun feu toutes les semaines paieroit quatre gros ; si porteroit le riche le povre. De cette taille acquit et assembla Philippe grand argent ; car nul ni nulle n’étoit excusé ni déporté que il ne payât ; car il avoit les sergens épars parmi Flandre, qui faisoient payer povres et riches, voulsissent ou non. Et disoit-on que il y avoit au siége devant Audenarde, quand ils furent assemblés, du pays de Flandre plus de cent mille hommes. Et firent ces Flamands, au-dessus d’Audenarde en l’Escaut, ficher et planter grands et gros merriens, parquoi point de navie de Tournay ne pût venir en Audenarde. Et avoient en leur ost de toutes choses à plenté, halles de draps, de pelleteries, de mercerie, et marché tous les samedis ; et leur apportoit-on des villages environ toutes choses de douceurs, fruitsr beurre, lait, fromages, poulailles et autres choses. En l’ost avoit tavernes et cabarets aussi bien et aussi plantureusement comme à Bruges ou à Bruxelles ; et vins de Rhin, de Poitou, de France, Garnaches, Malevoises et autres vins étrangers et à bon marché. Et pouvoit-on aller, venir, passer et retourner parmi leur ost sauvement et sans péril, voire ceux de Hainaut et de Brabant, d’Allemagne et de Liége aussi ; mais non ceux de France.