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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Quand messire Daniel de Hallewyn, capitaine d’Audenarde, entra premièrement en la ville, il fit toutes les pourvéances départir ouniement, et donner à chacun, selon lui et sa charge, sa portion ; et renvoya tous les chevaux sur quoi ils étoient venus, et fit toutes les maisons près des murs abattre ou couvrir de terre, pour le trait du feu des canons, car ils en avoient en l’ost merveilleusement grand’foison ; et fit toutes les femmes et les enfans et les autres menus gens loger ès mouliers, et plusieurs vider la ville ; et ne demeura oncques chien en la ville que tous ne fussent morts ou jetés dedans les fossés ou en la rivière. Si vous dis que les compagnons qui là dedans étoient en garnison faisoient souvent de belles issues du soir et du matin, et portoient à ceux de l’ost grand dommage. Et là avoit entre eux deux écuyers d’Artois, frères, Lambert de Lambres et Tristan. Ces deux par plusieurs fois y firent de grands appertises d’armes ; et ramenoient souvent des pourvéances de l’ost, voulsissent ou non leurs ennemis, et aussi des prisonniers. Ainsi se tinrent-ils tout l’été. Et étoit l’intention de Philippe d’Artevelle et de son conseil que ils seroient là tant que ils les affameroient, car à l’assaillir il leur coûteroit trop grandement de leurs gens ; et firent ceux de Gand ouvrer, ordonner et charpenter à force sur le mont d’Audenarde un engin merveilleusement grand, lequel avoit vingt pieds de large et vingt pieds jusques à l’étage, et quarante pieds de long ; et appeloit-on cet engin un mouton, pour jeter pierres de faix dedans la ville et tout effondrer. Encore de rechef, pour plus ébahir ceux de la garnison d’Audenarde, ils firent faire et ouvrer une bombarde merveilleusement grande, laquelle avoit cinquante trois pouces de bec, et jetoit carreaux merveilleusement grands et gros et pesants ; et quand cette bombarde descliquoit, on l’ouoit par jour bien de cinq lieues loin, et par nuit de dix, et menoit si grand’noise au descliquer, que il sembloit que tous les diables d’enfer fussent au chemin. Encore firent faire ceux de Gand un engin et asseoir devant la ville, qui jetoit croisseux de cuivre tout bouillant.

De tels engins de canons, de bombarbes, de truies et de moutons se mettoient en peine ceux de Gand de adommager ceux de Audenarde. Entre tout ce se confortoient bellement les compagnons qui dedans étoient, et remédioient à l’encontre, et faisoient des issues trois ou quatre fois la semaine ; dont ils avoient plus d’honneur que de blâme, et aussi plus de profit que de dommage.


CHAPITRE CLXII.


Comment un nombre de Flamands partirent du siége devant Audenarde, et des maux qu’ils commirent en Flandre et en Tournesis.


Entrementes que on séoit devant Audenarde se départirent bien onze cents hommes de l’ost ; et se avisèrent que ils iroient voir le pays et abattre et fuster les maisons des chevaliers qui issus de Flandre étoient et venus demeurer en Hainaut, en Brabant et en Artois, eux et leurs femmes et leurs enfans. Si accomplirent tout leurs propos ; et firent ces routiers moult de desroys parmi Flandre, et ne laissèrent oncques maison ni hôtel de gentilhomme que tous ne fussent ars et rués par terre ; et s’en vinrent de rechef à Male, l’hôtel du comte, séant à demi lieue de Bruges, et quand ils l’eurent fusté ils le par-abatirent. Et trouvèrent le repos où le comte avoit été mis d’enfance, et le dépécèrent pièce à pièce, et la cuvelette où on l’avoit baigné, et la dépécèrent aussi toute ; et abattirent la chapelle et apportèrent la cloche. Depuis s’en vinrent à Bruges, et là trouvèrent Piètre du Bois et Piètre le Vintre qui leur firent bonne chère et leur sçurent bon gré de ce que ils avoient fait, et leur dirent que ils avoient bien exploité.

Quand ces routiers se furent rafreschis à Bruges quatre jours, ils prirent leur chemin vers le Pont Warneston et passèrent la rivière du Lys, et s’en vinrent devant la ville de Lille ; et abattirent aucuns moulins à vent ; et boutèrent le feu en aucuns villages devers Flandre. Adonc s’armèrent et s’en vinrent à pied et à cheval plus de quatre mille de ceux de Lille après ces routiers ; et y ot de ces Flamands de ratteints : si en y ot de morts et de pris à qui on trancha depuis les têtes à Lille ; et s’ils eussent été bien poursuivis, jà pied n’en fût échappé. Toutes fois ces routiers de Gand entrèrent en Tournésis et y firent moult de desroys ; et ardirent la ville de Selchin et autres villages environ qui sont du royaume de France, et retournèrent atout grand’proie au siége d’Audenarde.

Ces nouvelles vinrent au duc de Bourgogne qui se tenoit à Bapeaumes en Artois, comment