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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

au devant de notre entente ; mais à émouvoir guerre, le roi de France et le royaume, à Flandre qui ont été en bonne paix ensemble, il convient qu’il y ait titre et que les barons de France y soient appelés : autrement nous en serions demandés et inculpés ; car le roi est jeune ; et savent bien toutes gens que il fera en partie ce que nous voudrons et lui conseillerons. Si bien lui en prenoit la chose se passeroit en bien ; si mal lui en venoit, nous en serions démandés et trop plus blâmés que les autres, et à bonne cause ; et diroit-on partout : véez les oncles du roi, le duc de Berry et le duc de Bourgogne, comment ils l’ont conseillé jeunement ; ils ont bouté en guerre le royaume de France, dont il n’avoit que faire. Donc je dis, beau frère, que nous mettrons ensemble la greigneur partie des prélats et des nobles du royaume de France et leur remontrerons, le roi présent, vous personnellement à qui il en touche pour l’héritage de Flandre, toutes ces incidences : nous verrons tantôt la générale volonté du royaume de France. » Répondit le duc de Bourgogne : « Vous parlez bien, beau frère, et ainsi sera fait comme vous dites. »

À ces paroles véez-ci le roi qui entra en la chambre où ses oncles étoient, un épervier sur le poing ; et se férit en leurs paroles, et leur demanda moult liement en riant : « De quoi parlez-vous maintenant, mes beaux oncles, en si grand conseil ? Dites-le-moi, je vous prie ; je le saurois volontiers, si c’est chose que on puist savoir. » — « Oui, monseigneur, dit le duc de Berry qui fut avisé de parler ; car à vous en appartient de ce conseil grandement. Véez-ci votre oncle, mon frère de Bourgogne, qui se complaint à moi de ceux de Flandre ; car les vilains de Flandre ont bouté hors de son héritage le comte de Flandre leur seigneur et tous les gentilshommes ; et encore sont-ils à siége devant la ville d’Audenarde plus de cent mille Flamands, qui ont là assis grand’foison de gentilshommes ; et ont un capitaine qui s’appelle Philippe d’Artevelle, pur Anglois de courage, lequel a juré que jamais ne partira de là si aura sa volonté de ceux de la ville, si votre puissance ne l’enlève, tant y a-t-il réservé. Et vous, qu’en dites-vous ? Voulez-vous aider votre cousin de Flandre à reconquérir son héritage, que vilains par orgueil lui tollent et efforcent par cruauté ? » — « Par ma foi, répondit le roi, beaux oncles, oui j’en suis en très grand’volonté ; et pour Dieu, que nous y allions, je ne désire autre chose que moi armer. Et encore ne me armai-je oncques ; si me faut-il, si je vueil régner en puissance et en honneur, apprendre les armes. »

Ces deux ducs se regardèrent l’un l’autre ; et leur vint grandement à plaisance la parole que le roi avoit répondue. Et dit encore le duc de Berry : « Monseigneur, vous avez bien parlé, et à ce faire vous êtes tenu par plusieurs raisons ; on tient la comté de Flandre du domaine de France, et vous avez juré, et nous pour vous, à tenir en droit vos hommes et vos liges ; et aussi le comte de Flandre est votre cousin, par quoi vous lui devez amour. Et puisque vous en êtes en bonne volonté, ne vous en ôtez jamais ; et en parlez ainsi à tous ceux qui vous en parleront ; car nous assemblerons hâtivement les prélats et les nobles de votre royaume, et leur remontrerons, vous présent, toutes ces choses. Si parlez ainsi haut et clair que vous avez ici parlé à nous, et tous diront : Nous avons roi de haute emprise et de bonne volonté. » — « Par ma foi, beaux oncles, je voudrois que ce fût demain à aller celle part ; car d’ores-en-avent ce sera le plus grand plaisir que je aurai que je voise en Flandre abattre l’orgueil des Flamands. »

De celle parole orent les deux ducs grand’joie. Adonc vint le duc de Bourbon, qui fut appelé des deux ducs ; et lui recordèrent toutes les paroles que vous avez ouïes, et la grand’volonté que le roi avoit d’aller en Flandre, dont le duc de Bourbon ot grand’joie. Si demeurèrent les choses en cel état ; mais le roi escripsit, et ses oncles aussi, à tous les seigneurs du conseil du royaume de France, qu’ils venissent sur un jour qui assigné y fut, à Compiègne, et que là auroit parlement pour les besognes du royaume de France. Tous obéirent, ce fut raison. Et sachez que le roi étoit si réjoui de ces nouvelles et si pensif en bien, que il ne s’en pouvoit mettre hors ; et disoit trop souvent que tant de parlemens ne valoient rien pour faire bonne besogne ; et si disoit : « Il me semble que quand on veut faire et entreprendre aucune besogne, on ne la doit point tant demener, car au détrier on avise ses ennemis. » Et puis si disoit outre, quand on lui mettoit au devant les périls qui venir en pouvoient : « Oil, oil ; qui oncques rien n’entre-