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LIVRE II.

les Gantois avoient couru, pillé et ars aucuns villages sur le royaume de France. Si en escripsit tantôt tout le convenant le duc de Bourgogne devers son neveu le roi de France qui se tenoit à Compiègne, et aussi au duc de Berry son frère, au duc de Bourbon et au conseil du roi, afin que ils eussent avis. Et ne voulsist mie le duc de Bourgogne que ce ne fût advenu, ni que les Flamands n’eussent autrement fait ; car il pensoit bien que il en convenoit ensoigner le roi de France ; autrement son sire, le comte de Flandre, ne reviendroit jamais à l’héritage de Flandre. Et aussi, tout considéré, celle guerre le regardoit trop grandement ; car il étoit de par sa femme, après la mort de son seigneur le comte, héritier de Flandre.


CHAPITRE CLXIII.


Comment le comte de Flandre, averti des outrages des Gantois, se recommanda à son gendre le duc de Bourgogne ; et lui et Berry en parlèrent au roi, et ce qu’il en répondit.


En ce temps se tenoit le comte de Flandre à Hesdin. Si lui fut recordé comment les routiers de Gand avoient été à Male et abattu l’hôtel en dépit de lui, et la chambre où il fut né arse, et les fonds où il fut baptisé rompus, et le repos où il fut couché enfant, armoyé de ses armes, qui étoit tout d’argent, et la cuvelette aussi où on l’avoit d’enfance baigné, qui étoit d’or et d’argent, toute descirée et despécée et apportée à Bruges, et là fait leurs gabes et leurs ris. Ce lui vint et tourna à grand déplaisance. Si ot le comte, lui étant à Hesdin, maintes imaginations ; car il véoit son pays perdu et tourné contre lui, excepté Tenremonde et Audenarde, et n’y véoit nul recouvrer de nul côté, fors de la puissance de France. Si s’avisa, tout considéré, qu’il s’en viendroit parler à son fils le duc de Bourgogne qui se tenoit à Bapeaumes, et lui remontrer ses besognes. Si se départit de Hesdin et s’en vint à Arras ; et là se reposa deux jours. À lendemain il s’en vint à Bapeaumes : si descendit à l’hôtel du comte, qui étoit sien ; car pour ce temps il étoit comte d’Artois, car sa dame de mère étoit morte. Le duc de Bourgogne son fils ot grand compassion de lui, et le réconforta moult doucement, quand il l’ot oy complaindre ; il lui dit : « Monseigneur, par la foi que je dois à vous et au roi, je n’entendrai jamais à autre chose, si serez réjoui de vos meschéances ou nous perdrons tout le demeurant ; car ce n’est pas chose due que telle ribaudaille comme ils sont ores en Flandre laisser gouverner un pays ; et toute chevalerie et gentillesse en pourroit être détruite et honnie, et par conséquent sainte chrétienté. »

Le comte de Flandre se reconforta, parmi tant que le duc de Bourgogne lui ot en convenant de aider ; et prit congé de lui, et s’en vint en la cité d’Arras. À ce jour y tenoit le comte de Flandre plus de deux cents hommes des bonnes villes de Flandre hostagiers ; et étoient au pain et à l’eau en diverses prisons ; et leur disoit-on tous les jours que on leur trancheroit les têtes ; ni ils n’attendoient autre chose. Quand le comte fut venu à Arras il les fit, à l’honneur de Dieu et de Notre Dame, tous délivrer, car bien véoit, à ce qui avenoit en Flandre, que ils n’avoient nulle coulpe ; et leur fit jurer à être bons et loyaux envers lui ; et puis leur fit délivrer à chacun or et argent pour aller à Lille, ou à Douay, ou ailleurs où mieux leur plairoit ; dont le comte acquit grand’grâce ; et puis se partit le comte d’Arras et s’en retourna à Hesdin et là se tint une espace.

Le duc de Bourgogne ne mit mie en oubli les convenances qu’il avoit eues à son seigneur de père le comte de Flandre : si se partit de Bapeaumes, messire Guy de la Tremoille en sa compagnie, et messire Jean de Vienne, amiral de France, qui rendoient grand’peine de conseil à ce que le comte de Flandre fût conforté ; et ces deux étoient les plus grands et les plus hauts de son conseil. Tant chevaucha le duc de Bourgogne, et sa route avecques lui, que il vint à Senlis où le roi étoit et ses deux oncles Berry et Bourbon. Si fut là reçu à grand joie, et puis demandé des nouvelles de Flandre et du siége d’Audenarde. Le duc de Bourgogne répondit à ces premières paroles moult sagement au roi et à ses oncles ; et quand ce vint à loisir il trait à part son frère le duc de Berry, et lui remontra comment ces Gantois orgueilleux se mettoient en peine de être maîtres et de détruire toute gentillesse ; et jà avoient-ils ars et pillé sur le royaume de France, qui étoit une chose moult préjudiciable, à la confusion et vitupère du roi, et que on ne leur devoit mie souffrir. « Beau frère, dit le duc de Berry, nous en parlerons au roi ; nous sommes, je et vous, les deux plus hauts de son conseil. Le roi informé, nul n’ira