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LIVRE II.

et défense, si comme nous sommes prêts et attendans. Et il trouvera l’ost appareillé pour lui défendre contre nos ennemis ; car nous espérons à l’aide de Dieu avoir victoire, ainsi comme autrefois avons eue contre vous. Outre nous rescripvez que renommée est que vous avez entendu que nous, ou aucuns de Flandre, traitent alliances avecques le roi d’Angleterre, et que nous errons, pourtant que nous sommes subgiets à la couronne de France et que le roi est notre seigneur à qui nous sommes tenus de nous acquitter ; ce que fait avons, en tant que au temps passé à lui avons envoyé nos lettres, ainsi comme à notre souverain, que il voulsist faire la paix. Sur quoi il pas ne répondit ; mais notre messager fut pris et détenu prisonnier ; ce qui grand blâme nous sembloit à un tel seigneur. Et encore il lui est plus grand blâme et à blâmer que de sur ce il a à nous escript si comme souverain seigneur, et il ne daigna envoyer réponse quand à lui rescripvimes comme à notre souverain seigneur. Et pourtant que ce adonc ne lui plut à faire, pensâmes à nous acquérir le profit du pays de Flandre, à qui que ce fût à faire, ce que fait avons : néanmoins que aucune chose n’est encore conclue, pourra le roi bien venir à temps par la manière que toutes forteresses soient ouvertes. Et pour ce que nous deffendîmes à ceux de Tournay, quand darrenièrement furent en notre ost, que nul ne vint plus chargé de lettres ou de bouche sans avoir sauf conduit ; et outre ce sont venus portant lettres, sans le sçu ni consentement de nous, à Gand, à Bruges et à Yppre, nous avons les messagers fait prendre et détenir ; et leur apprendrons de porter lettres, tellement que autres y prendront exemple. Car nous sentons que trahison quérez, espécialement pour moi, Philippe d’Artevelle, dont Dieu me veuille garder et défendre ; et aussi faire et mettre discord au pays. Pourquoi nous vous faisons savoir que de ce ne vous travailliez plus, si ce n’est que les villes devant dites soient ouvertes, ce que elles seront briévement à l’aide de Dieu, lequel vous ait en sa sainte garde.

« Escript devant Audenarde, le vingtième jour du mois d’octobre, l’an mil trois cent quatre vingt et deux.

« Philippe d’Artevelle, Regard de Flandre, et ses compagnons. »

Quand Philippe d’Artevelle ot ainsi escript, présent le seigneur de Harselles et son conseil, il leur sembla que rien n’y avoit à amender ; et scellèrent la lettre et puis regardèrent à qui ils la bailleroient. Bien savoient que si nul de leur comté appartenant à eux portoit ces lettres à Tournay, il seroit mort ou retenu, pourtant qu’ils retenoient les trois messagers des commissaires du roi en trois villes en prison ; si demanda Philippe : « Avons-nous nuls prisonniers de ceux d’Audenarde ? » — « Oil, dit-on, nous avons un varlet qui fut hier pris à l’escarmouche ; mais il n’est pas d’Audenarde, il est d’Artois, et varlet à un chevalier nommé messire Gérard de Marqueilles, si comme il dit. » — « Tant vaut mieux, dit Philippe ; faites-le venir avant, il portera ces lettres, et parmi tant il sera quitte et délivré. » On le fit venir avant. Adonc l’appela Philippe et lui dit : « Tu es mon prisonnier ; et te puis faire mourir, si je vueil, et tu en as été en grand’aventure ; et puisque tu es ci, tu seras délivré, parmi tant que tu me auras en convenant sur ta foi que ces lettres tu porteras à Tournay et les bailleras aux commissaires du conseil du roi que tu trouveras là. » Le varlet, quand il ouït parler de sa délivrance, ne fut oncques si lie, car il cuidoit bien mourir. Si dit : « Sire, je vous jure par ma foi, je les porterai où vous voudrez, si ce étoit pour porter en enfer. » Et Philippe commença à dire, et dit : « Tu as trop bien parlé. » Adonc lui fit-il bailler deux écus et le fit convoier tout hors de l’ost, et puis mettre au chemin de Tournay.

Tant exploita le varlet et chemina qu’il vînt à Tournay, et entra dedans les portes et demanda où il trouveroit les commissaires. On lui dit que il en orroit nouvelles sur le marché. Quand il fut venu sur le marché, on lui enseigna l’hôtel de l’évêque de Laon ; si se traist celle part, et fit tant qu’il vint devant l’évêque, et se mit à genoux, et fit son message bien et à point. On lui demanda des nouvelles d’Audenarde et de l’ost. Il en répondit ce qu’il en savoit, et conta comment il étoit prisonnier, mais on l’avoit en l’ost délivré pourtant qu’il avoit apporté ces lettres. On lui donna à dîner, et entretant que il dînoit, il fut très bien examiné des gens de l’évêque. Quand il eut à grand loisir dîné il se partit. L’évêque de Laon ne voult mie ouvrir ces lettres sans ses compagnons, et envoya devers eux. Et quand ils furent tous les trois évêques ensemble