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LIVRE II.


CHAPITRE CLXXII.


Comment les prélats et seigneurs commissaires ordonnés par le roi de France conseillèrent aux Tournesiens d’eux non accointer des Flamands.


Au chef de trois jours après ce que la première lettre fut envoyée aux commissaires du roi, ainsi que les seigneurs de Tournay étoient en la halle assemblés en conseil, vinrent ces secondes lettres ; et furent apportées par un varlet de Douay, si comme il disoit, que ceux étant au siége devant Audenarde leur envoyoient. Les lettres furent reçues et portées en la halle et les commissaires appelés ; et là furent lues à grand loisir et conseillées. Finablement, les commissaires dirent ainsi aux prévôt et jurés de Tournay qui demandoient conseil de ces besognes : « Seigneurs, nous vous disons pour le mieux que vous n’ayez nulle accointance ni challandise à ceux de Flandre ; car on ne vous sauroit gré en France ; ni ne ouvrez ni recevez nulles lettres que on vous envoyé de ce lez-là ; car si vous le faites et on le sache au conseil du roi, vous en recevrez blâme et dommage, et sera grandement au préjudice du roi. Cil Philippe d’Artevelle montre et nous enseigne par ses lettres qu’il ne fait pas grand compte du roi ni de sa puissance ; mais se lairra trouver au debout de la comté de Flandre, qui est héritage au comte, sa puissance avecques lui. Ce sont paroles impétueuses et orgueilleuses ; et en auront à notre retour le roi et monseigneur de Bourgogne grand’indignation ; si ne demeureront pas les choses longuement en cel état. » Et ceux de Tournay répondirent que ils persévèreroient par leur conseil, et que, si à Dieu plaisoit, ils ne feroient jà chose parquoi ils fussent repris. Depuis ne demeura que trois jours que les commissaires du roi se partirent de Tournay et retournèrent devers le roi, lequel ils trouvèrent â Péronne, et ses trois oncles de-lez lui, les ducs de Berry, de Bourgogne et de Bourbon.


CHAPITRE CLXXIII.


Comment le comte Louis fut parler au roi à Péronne, qui le reconforta ; et du grand mandement que le roi fit pour aller en Flandre.


Le jour devant étoit là venu le comte de Flandre pour remonter ces besognes au roi et à son conseil, et pour relever la comté d’Artois, en quoi il étoit tenu, car encore ne l’avoit-il point relevée ; si en étoit-il comte par la succession de la comtesse d’Artois sa mère, qui étoit morte en l’année. Quand ceux commissaires furent venus, les consaulx du roi se mirent ensemble, présent le jeune roi ; et là furent lues les deux lettres dessus dites que Philippe d’Artevelle et ceux de Flandre avoient envoyées à Tournay. On les convertit en grand mal ; et fût dit que, en la nouvelleté du roi de France, si grand orgueil qui étoit en Flandre ne faisoit mie à souffrir ni à soutenir. De ce ne fut pas le comte de Flandre courroucé, ce fut raison : car bien véoit et connoissoit que sans l’aide et puissance du roi de France il ne pouvoit jamais retourner à son héritage de Flandre. Si fit là le comte, présent le roi et son conseil, ses plaintes bien à point ; et fut bien ouï et répondu des ducs ses cousins, en disant : « Au regard des rebelles Flamands ne peut-on à présent dire ni parler de nul raisonnable traité, comme il appert par leur scellé ; et sont trop orgueilleux et présomptueux, et trop ont forfait, quand ils quièrent étrangers seigneurs tel comme le roi d’Angleterre qui est notre adversaire. Et ce ne sera point soutenu ; mais les ira le roi hâtivement combattre ; de ce soyez tous assurés. » Lors se offrit et présenta le comte de Flandre au roi de relever la comté d’Artois, ainsi comme à son naturel seigneur et qu’il le devoit faire. Le roi fut conseillé de répondre et dit ainsi : « Comte, vous retournerez en Artois ; et briévement nous serons à Arras ; et là ferez-vous votre devoir, présens les pairs de France ; car mieux ne pouvons-nous montrer que la querelle soit nôtre que de approcher nos ennemis. »

Le comte se contenta moult de celle réponse, et se partit de Péronne trois jours après, et s’en retourna en Artois et vint à Hesdin. Et le roi de France, comme cil qui de grand’volonté vouloit venir en Flandre et abattre l’orgueil dès Flamands, ainsi comme autrefois ses prédécesseurs avoient fait, mit clercs en œuvre à tous lez ; et envoya mandemens, lettres et messagers qui s’étendirent par toutes les parties de son royaume, en mandant que tantôt et sans délai chacun vînt à Arras, pourvu le mieux qu’il pourroit, car au plaisir de Dieu, il vouloit aller combattre les Flamands en Flandre. Nul sire tenant de lui n’osa désobéir ; mais firent leurs mandemens de leurs gens ; et s’appareillèrent et se départirent les