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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

lointains d’Auvergne, de Rouergue, de Quersin, de Toulousin, de Gascogne, de Limousin, de Poitou, de Xaintonge, de Bretagne et d’autre part, de Bourbonnois, de Forez, de Bourgogne, du Dauphiné, de Savoie, de Lorraine, de Bar et de toutes les circuites du royaume de France et des tenances. Et tous avaloient vers Arras et Artois. Là se faisoit l’assemblée des gens d’armes si grande et si belle que merveilles étoit à considérer.


CHAPITRE CLXXIV.


Comment le comte Louis de Flandre fit hommage au roi de France de la comté d’Artois ; et comment Philippe d’Artevelle pourveyt à la garde des passages de la rivière du Lys.


Le comte de Flandre qui se tenoit à Hesdin, et qui tous les jours ouoit nouvelles du roi de France et du duc de Bourgogne, et du grand mandement qui se faisoit en France, fit une défense partout Artois au plat pays que nul, sous peine de perdre corps et avoir, ne retraist ni ne mit hors de son hôtel, en forteresse ni en bonne ville, chose que il eût ; car il vouloit que les gens d’armes fussent aisés et servis de ce qui étoit au plat pays. Adonc s’en vint le roi à Arras et là s’arrêta, et les gens d’armes de tous lez venoient et appleuvoient tant et si bien étoffés que c’étoit grand’beauté du voir ; et se logeoient, ainsi comme ils venoient, sur le plat pays, et trouvoient les granges toutes pleines et bien pourvues. Lesquelles pourvéances leur venoient bien à point ; car tout leur étoit abandonné. Et les grands seigneurs se logeoient ens ès bonnes villes. Adonc vint le comte de Flandre à Arras, et conjouit grandement le roi et les seigneurs qui là étoient venus, et fit là hommage au roi, présens les pairs, de la comté d’Artois. Et le roi le reçut à homme et lui dit : « Beau cousin, si il plaît à Dieu et à Saint Denis, nous vous remettrons temprement en l’héritage de Flandre, et abattrons tellement l’orgueil de ce Philippe d’Artevelle et de ces Flamands, que jamais n’auront cure ni puissance de eux rebeller. » — « Monseigneur, dit le comte, je y ai bien fiance ; et vous y acquerrez tant d’honneur et de grâce que à tous les jours du monde vous en serez prisé ; car voirement est maintenant l’orgueil et la présomption trop grands en Flandre. »

Philippe d’Artevelle, lui étant au siége devant Audenarde, étoit tout informé comment le roi de France vouloit à puissance venir sur lui : par semblant il n’en faisoit compte et disoit à ses gens : « Mais par où cuide cil roytiaulx entrer en Flandre ? Il est encore trop jeune d’un an, quand il nous cuide ébahir par ses assemblées. Je ferai tellement garder les passages et les entrées en la maison de Flandre, que il ne sera mie en leur puissance que ils se voient de cette année de çà la rivière du Lys. » Adonc mandat-il à Gand le seigneur de Harselles que il vînt devant Audenarde : et y vint. Quand il fut venu, Philippe lui dit : « Sire de Harselles, vous savez bien et entendez tous les jours comment le roi de France s’appareille pour nous détruire ; il faut que nous ayons conseil sur ce : vous demeurerez ci, et tenrez le siége ; et je m’en irai à Bruges et à Yppre apprendre encore mieux des nouvelles ; et les rafreschirai par paroles et monitions de bien faire, et encouragerai les bonnes gens des bonnes villes ; et établirai sur la rivière du Lys tant de gens aux passages, que les François ne pourront passer outre. » À tout ce, se accorda le sire de Harselles. Lors se départit Philippe du siége et s’achemina vers Bruges ; et chevauchoit comme sire ; et faisoit porter son pennon devant lui, tout dévelopé, armoyé de ses armes, et portoit l’écu noir à trois chapeaux d’argent. Quand il fut venu à Bruges, il trouva Piètre du Bois et Piètre de Vintre, qui là étoient gardiens et capitaines ; si parla à eux, et leur remontra comment le roi de France à toute sa puissance vouloit venir en Flandre, et que il convenoit aller au devant pour y remédier et garder les passages : « Si veuil, Piètre du Bois, que vous alliez au pas de Commines ; vous garderez là la rivière ; et vous, Piètre de Vintre, vous irez au Pont de Warneston, et là garderez-vous le passage ; et faites tous les ponts de au dessus la rivière jusques à la Gorgue et à Estelles et à Meureville rompre ; et au dessous jusques à Courtray : par ainsi les François ne pourront passer. Et je m’en irai à Yppre parler à eux et eux en amour rafreschir, conforter et remontrer comment nous sommes conjoints ensemble par unité ; et que nul ne se fourvoie ni isse de ce que nous avons juré à tenir. Il n’est mie en la puissance du roi de France ni des François que ils puissent passer la rivière du Lys, ni entrer en Flandre, puisque les pas seront gardés, si ils ne vont au long de la rivière querre passage