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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

assurés de celle aventure, et disoient : que il n’étoit point en la puissance de Philippe ni de tout le pays de Flandre de déconfire le roi de France, si il n’avoit les Anglois avecques lui, dont il n’étoit nulle apparence, et que briévement pour le meilleur on se rendit au roi de France et non à autrui. Tant montèrent ces paroles que riote s’émut ; et furent ces seigneurs maîtres, et le capitaine occis, qui s’appeloit Piètre Wanselare. Quand ceux de Yppre orent fait ce fait, ils prirent deux frères prêcheurs, et les envoyèrent devers le roi et ses oncles, sur le mont de Yppre, et lui remontrèrent que il voulsist entendre à traité amiable à ceux de Yppre. Le roi fut conseillé que il leur donneroit jusques à eux douze et à un abbé qui se boutoit en ces traités, qui étoit de Yppre, sauf allant et sauf venant, pour savoir quelle chose ils vouloient dire. Les frères prêcheurs retournèrent à Yppre. Les douze bourgeois qui furent élus par le conseil de toute la ville, et l’abbé et leur compagnie, vinrent sur le mont de Yppre, et s’agenouillèrent devant le roi, et représentèrent la ville au roi à être en son obéissance à toujours, sans nuls moyens ni réservation. Le roi de France, parmi le bon conseil que il ot, comme celui qui contendoit à acquerre tout le pays par douceur ou par austérité, ne voulsist mie là commencer à montrer son mautalent, mais les reçut doucement, parmi un moyen que il ot là, que ceux de Yppre payeroient au roi quarante mille francs pour aider à payer une partie des menus frais que il avoit faits à venir jusques à là.

À ce traité ne furent oncques rebelles ceux de Yppre, mais en furent tout joyeux quand ils y purent parvenir, et l’accordèrent liement.

Ainsi furent pris ceux de Yppre à merci, et prièrent au roi et à ses oncles que il leur plût à venir rafreschir en la ville de Yppre, et que les bonnes gens en auroient grand’joie. On leur accorda voirement que le roi iroit et prendroit son chemin par là pour aller et entrer en Flandre auquel lez qu’il lui plairoit. Sur cel état retournèrent ceux de Yppre en leur ville ; et furent tous ceux du corps de la ville réjouis, quand ils sçurent que ils étoient reçus à paix et à merci au roi de France. Si furent tantôt par taille les quarante mille francs cueillis et payés au roi ou à ses commis, ainçois qu’il entrât en Yppre.


CHAPITRE CLXXXVII.


Comment le roi de France fut averti de la rébellion des Parisiens et d’autres, et de leur intention, lui étant en Flandre.


Encore se tenoit le roi de France sur le mont de Yppre, quand nouvelles vinrent que les Parisiens s’étoient rebellés et avoient eu conseil, si comme on disoit, entre eux là et lors pour aller abattre le beau chastel de Beauté, qui siéd au bois de Yincennes, et aussi le chastel du Louvre et toutes les fortes maisons d’environ Paris, afin que ils n’en pussent jamais être grévés. Quand un de leur route, qui cuidoit trop bien dire, mais il parla trop mal, si comme il apparut depuis, dit : « Beaux seigneurs, abstenez-vous de ce faire tant que nous verrons comment l’affaire du roi notre sire se portera en Flandre : si ceux de Gand viennent à leur entente, ainsi que on espère bien que ils y venront, adonc sera-t-il heure du faire et temps assez. Ne commençons pas chose dont nous nous puissions repentir. » Ce fut Nicolas le Flamand qui dit celle chose ; et par celle parole la chose se cessa à faire des Parisiens et cel outrage. Mais ils se tenoient à Paris pourvus de toutes armures, aussi bonnes et aussi riches comme si ce fussent grands seigneurs ; et se trouvèrent armés de pied en cap comme droites gens d’armes, plus de soixante mille, et plus de cinquante mille maillets et autres gens, comme arbalêtriers et archers ; et faisoient ouvrer les Parisiens nuit et jour les haulmiers, et achetoient les harnois de toutes pièces, tout ce que on leur vouloit vendre.

Or regardez la grand’diablerie que ce eût été si le roi de France eût été déconfit en Flandre, et la noble chevalerie qui étoit avecques lui en ce voyage. On peut bien croire et imaginer que toute gentillesse et noblesse eût été morte et perdue en France, et autant bien ens ès autres pays ; ni la Jacquerie ne fut oncques si grande ni si horrible qu’elle eût été ; car pareillement à Reims, à Châlons en Champagne et sur la rivière de Marne, les vilains se rebelloient et menaçoient jà les gentilshommes, et dames et enfans qui étoient demeurés derrière ; aussi bien à Orléans, à Blois, à Rouen en Normandie et en Beauvoisis, leur étoit le diable entré en la tête pour tout occire, si Dieu proprement n’y eût pourvu de remède, ainsi comme orrez recorder ensuivant en l’histoire.