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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

de nos ancesseurs ils furent là tous morts et déconfits, Pareillement aussi sachez qu’ils seront morts et déconfits, car Philippe d’Artevelle atout grand’puissance ne laira mie que il ne voise combattre le roi et sa puissance ; et il peut trop bien être, sur le bon droit que nous avons et sur la fortune qui est bonne pour ceux de Gand, que Philippe déconfira le roi, ni jà pied n’en échappera ni ne repassera la rivière ; et sera tout sur heure ce pays reconquis ; et ainsi vous demeurerez comme bonnes et loyales gens en votre franchise, et en la guerre de Philippe et de nous autres gens de Gand. »


CHAPITRE CLXXXIX.


Comment les messagers de Gand arrivèrent et un messager anglois à Calais ; et comment Philippe d’Artevelle fit grand amas de gens pour aller combattre les François.


Ces paroles et autres semblables que Piètre dü Bois et Piètre de Vintre remontroient pour ces jours à ceux de Bruges refrenèrent grandement les Brugiens de non traiter devers le roi de France. Entrementes que ces choses se demenoient ainsi, arrivoient à Calais les bourgeois de Gand et messire Guillaume de Firenton, Anglois, lesquels étoient envoyés de par le roi d’Angleterre, et tout le pays de çà la mer, pour remontrer au pays de Flandre et sceller les alliances et convenances que le roi d’Angleterre et les Anglois vouloient avoir aux Flamands. Si leur vinrent ces nouvelles de messire Jean d’Ewerues, capitaine de Calais, qui leur dit : « Tant que pour le présent vous ne pouvez passer, car le roi de France est à Yppre ; et tout le pays d’ici jusques à là est tourné devers lui : temprement nous aurons autres nouvelles ; car on dit que Philippe d’Artevelle met ensemble son pouvoir pour venir combattre le roi ; et là verra-t-on qui aura le meilleur. Si les Flamands sont déconfits, vous n’avez que faire en Flandre ; si le roi de France perd, tout est nôtre. » — « C’est vérité, » ce répondit le chevalier anglois.

Ainsi se demeurèrent à Calais les bourgeois de Gand et messire Guillaume Firenton. Or parlerons-nous de Philippe d’Artevelle comment il persévéra.

Voirement étoit-il en grand’volonté de combattre le roi de France ; et bien le montra, car il s’en vint à Gand, et ordonna que tout homme portant armes dont il se pouvoit aider, la ville gardée, le suivit. Tous obéirent, car il leur donnoit à entendre que par la grâce de Dieu ils déconfiroient les François, et seroient seigneurs ceux de Gand et souverains de toutes autres nations. Environ dix mille hommes pour l’arrière-ban emmena Philippe avecques lui, et s’en vint devant Courtray ; et jà avoit-il envoyé à Bruges, au Dan, et à Ardembourg, et à l’Écluse et tout sur la marine ens ès Quatre-Métiers[1], et en la chastellenie de Grantmont, de Tenremonde et d’Alost ; et leva bien de ces gens là environ trente mille ; et se logea une nuit devant Audenarde ; et à lendemain il s’en partit et s’en vint vers Courtray ; et avoit en sa compagnie environ cinquante mille hommes.


CHAPITRE CXC.


Comment le roi, averti que Philippe d’Artevelle l’approchoit, se partit de Yppre et son arroy, et tint les champs pour le combattre.


Nouvelles vinrent au roi et aux seigneurs de France que Philippe d’Artevelle approchoit durement ; et disoit-on qu’il amenoit en sa compagnie bien soixante mille hommes. Adonc se départit l’avant-garde d’Yppre, le connétable de France et les maréchaux, et vinrent loger à lieue et demie grande de Yppre, entre Roulers et Rosebecque ; et puis à lendemain le roi et tous les seigneurs s’en vinrent là loger, l’avant-garde et l’arrière-garde et tout. Si vous dis que sur les champs les seigneurs pour ce temps y orent moult de peine ; car il étoit au cœur d’hiver, à l’entrée de décembre, et pleuvoit toujours. Et si dormoient les seigneurs toutes les nuits tout armés sur les champs ; car tous les jours et toutes les heures ils attendoient la bataille. Et disoit-on en l’ost communément : « Ils venront demain. » Et ce savoit-on par les fourrageurs qui couroient aux fourrages sur le pays, qui apportoient ces nouvelles. Si étoit le roi logé tout au milieu de ses gens. Et de ce que Philippe d’Artevelle et ses gens détrioient tant, étoient les seigneurs de France plus courroucés ; car pour le dur temps qu’il faisoit ils voulsissent bien être délivrés. Vous devez savoir que avecques le roi étoit toute fleur de vaillance et de chevalerie. Si étoient Philippe d’Artevelle et les Flamands moult oultrecuidés, quand ils s’en-

  1. C’est-à-dire les villes et pays de Bouchoute, Assenède, Axèle et Hulst.