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LIVRE II.

et ne savoient lequel faire, ou vider leur ville ou attendre l’aventure, si avisèrent qu’ils envoyeroient deux frères mineurs à Courtray devers le roi, pour impétrer un sauf conduit, tant que douze de leurs bourgeois des plus notables eussent parlé à lui et remontré leurs besognes. Si vinrent les frères mineurs à Courtray, et parlèrent au roi et à son conseil et aussi au comte de Flandre qui amoyennoit les choses ce qu’il pouvoit. Le roi accorda aux douze bourgeois le sauf conduit qu’il demandoient, allant et retournant, et dit que volontiers il les orroit. Ces frères s’en retournèrent à Bruges. Donc se départirent les bourgeois sous le sauf conduit que ils portoient, et vinrent à Courtray devers le roi, et le trouvèrent, et ses oncles de-lez lui. Si se mirent à genoux devant lui, et lui crièrent merci, et prièrent que il les voulsist tenir pour siens, et que tous étoient ses hommes et la ville en sa volonté ; mais que pour Dieu il en eût pitié, parquoi elle ne fût mie courue ni perdue ; car si elle étoit détruite, trop de bonnes gens y perdroient ; et ce que ils avoient été contraires à leur seigneur, ce avoit été par la puissance de Philippe d’Artevelle et des Gantois ; car ils s’étoient toujours loyaument acquittés envers leur seigneur le comte.

Le roi entendit à leurs paroles, par le moyen du comte de Flandre qui là étoit présent, qui en pria et se mit à genoux devant le roi. Là fut dit et remontré à ces bonnes gens de Bruges que il convenoit apaiser ces Bretons et ces gens d’armes qui se tenoient sur les champs entre Tourhout et Bruges ; et que il leur convenoit avoir de l’argent. Lors furent traités entamés pour avoir de l’argent ; et demanda-t-on deux cent mille francs. Toutefois ils furent diminués jusques à six vingt mille francs, à payer soixante milles tantôt et le demeurant dedans la Chandeleur. Par ainsi les tenoit le roi en ferme état et en sûre paix ; mais ils se rendoient purement et ligement à toujours mais liges au roi de France et du domaine, et vouloient être de foi, d’hommage et d’obéissance.


CHAPITRE CCI.


Comment au pourchas du comte Guy de Blois le pays de Hainaut et Valenciennes furent préservés de grand pillage et travail.


Ainsi demeura la bonne ville de Bruges en paix, et fut déportée de non être courue : dont les Bretons furent moult courroucés : car ils en cuidoient bien avoir leur part ; et disoient entre eux, quand ils sçurent que ils étoient venus à paix, que cette guerre de Flandre ne leur valoit rien, et que trop petit de profit y avoient eu. Si s’avisèrent les aucuns qui ne tendoient à nul bien et dirent : « Nous nous en retournerons en notre pays ; mais ce sera parmi la comté de Hainaut. Aussi ne s’est pas le duc Aubert, qui en a le gouvernement, trop fort ensonnié de aider son cousin le comte de Flandre ; il s’en est bien sçu dissimuler : c’est bon que nous le allions visiter ; car il y a bon pays et gras en Hainaut ; ni nous ne trouverons homme qui nous vée notre chemin ; et là recouvrerons-nous nos dommages et nos souldées mal payées. » Il fut celle fois que ils se trouvèrent bien douze cents lances tous d’un accord, Bretons, Bourguignons, Savoyens et autres gens. Or regardez si le bon et doux pays de Hainaut ne fut pas en grand péril.

La connaissance en vint au gentil comte Guy de Blois, qui étoit là un des grands sires entre les autres et chef de l’arrière garde et du conseil du roi, comment Bretons, Bourguignons et autres gens qui ne désiroient que pillage, menaçoient le bon pays de Hainaut, auquel il a grand’part et bel et bon héritage. Tantôt pour y remédier il alla fortement au devant, et dit que ce n’étoit pas une chose à consentir que le bon pays de Hainaut fût couru ; et prit ses cousins de-lez lui, le comte de la Marche, le comte de Saint-Pol, le sire de Coucy, le seigneur d’Enghien et plusieurs autres, tous tenables de la comté de Hainaut, qui là étoient et qui le roi servi avoient ; et leur remontra que nullement ils ne devroient vouloir ni consentir que le bon pays de Hainaut, dont ils issoient et descendoient, et auquel leurs héritages ils avoient, fût molesté ni grevé par nulle voie quelconque ; car, en tant que de la guerre de Flandre ni du comte, le pays de Hainaut n’y avoit nulle coulpe ; mais avoient servi le roi en ce voyage les barons et chevaliers moult loyaument ; et en devant, ainçois que le roi vînt en Flandre, avoient servi le comte de Flandre les chevaliers et les écuyers de Hainaut ; et s’étoient enclos en Audenarde et en Tenremonde, et aventurés, et mis corps et chevance.

Tant fit le comte de Blois et alla de l’un à l’autre, et acquit tant d’amis, que toutes ces choses furent rompues, et demeura Hainaut en paix.