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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Encore fit le gentil sire une chose : il y avoit en ce temps en Flandre un chevalier qui s’appeloit messire Thierry de Disquemme, qui pour l’amour d’un sien parent, qui s’appeloit Daniel d’Usc, lequel par sa coulpe avoit été occis en la ville de Valenciennes, si en hérioit et guerroyoit la ville ; et vouloit encore plus fort hérier et guerroyer ; et avoit acquis tant d’amis pour mal faire, que on disoit que il avoit bien de son accord cinq cents lances pour amener en Hainaut, guerroyer et hérier la ville de Valenciennes ; et disoit qu’il avoit bonne querelle de tout ce faire. Mais quand le comte de Blois en fut informé, il alla puissamment au devant, et défendit au chevalier que il ne s’enhardît d’entrer ni mener gens d’armes au pays de son cousin le duc Aubert ; car il lui seroit trop cher vendu ; et tant exploita le gentil comte de Blois, que il fit le chevalier tout privé ; et se mit le chevalier de toutes ces choses en la pure volonté du comte de Blois et du sire de Coucy. Par ainsi demeura la ville de Valenciennes en paix. Ces services fit le comte de Blois en celle année à Hainaut et à Valenciennes ; dont il acquit grand’grâce, et l’amour tout pleinement de ceux de Valenciennes.


CHAPITRE CCII.


Comment Piètre du Bois, revenu à Gand, reconforta les Gantois qui reprindrent courage fier et rebelle.


Encore se tenoient tous les seigneurs et les gens d’armes à Courtray ou là environ ; car on ne savoit que le roi vouloit faire, ni si il iroit devant Gand. Et cuidèrent les François, de commencement que ceux de Bruges vinrent à merci devers le roi, que les Gantois y dussent venir aussi, pourtant que ils avoient perdu leur capitaine et reçu si grand dommage de leurs gens à la bataille de Rosebecque. Voirement en furent-ils en Gand en grand’aventure ; et ne sçurent trois jours lequel faire, ou de partir de leur ville et tout laisser, ou d’envoyer les clefs de la ville devers le roi et de eux rendre et mettre du tout en sa merci ; et étoient si ébahis que il n’y avoit conseil ni arroy ni contenance entre eux. Ni le sire de Harselles qui étoit là ne les savoit comment conforter.

Quand Piètre du Bois rentra en la ville il trouva les portes ouvertes et sans garde, dont il fut moult émerveillé ; et demanda que c’étoit à dire que on ne gardoit autrement la ville. Ceux lui répondirent qui le vinrent voir et qui furent bien réjouis de sa venue, et lui dirent : « Ha ! sire, que ferons-nous ? Vous savez que nous avons tout perdu, Philippe d’Artevelle notre bon capitaine, et bien par bon compte, de la ville de Gand, sans les étranges, neuf mille hommes : ce dommage nous touche si près que en nous n’a point de recouvrer. » — « Ha ! folles gens, dit Piètre, vous ébahissez-vous pour cela ? Encore n’a pas la guerre pris fin, ni oncques Gand ne fut tant renommée comme elle sera. Si Philippe est mort, ce a été par son outrage : faites clorre vos portes et entendez à vos défenses. Vous n’avez garde que le roi de France doye ci venir en cel hiver ; et entrementes que le temps reviendra, nous cueillerons gens en Hollande, en Zélande, en Guerle, en Brabant et ailleurs ; nous en aurons assez pour nos deniers. François Ackerman qui est en Angleterre retournera ; moi et lui serons vos capitaines : ni oncques la guerre ne fut si forte ni si bonne que nous la ferons. Nous valons mieux seuls que avecques le demeurant de Flandre : ni tant que nous avons eu le pays avecques nous, nous n’avons sçu guerroyer. Or entendrons-nous maintenant ainsi que pour nous à la guerre, et ferons plus de bons exploits que nous n’avons fait. »

Ainsi et de telles paroles reconforta Piètre du Bois à son retour les ébahis de Gand, qui se fussent rendus simplement au roi de France, il n’est pas doute, si Piètre du Bois n’eût été.

Or regardez comment il y a de confort et conseil en un homme. Et quand ceux de Gand virent que cinq ou six jours passoient et que nul ne venoit courir devant leur ville, ni nul siége ne leur apparoît, si furent grandement réconfortés et plus orgueilleux que devant.


CHAPITRE CCIII.


Comment les Flamands ambassadeurs partirent du roi anglois à petit d’exploit. Comment le roi n’assiégea point Gand. Comment il fit embraser Courtray ; et comment il se retraist et les seigneurs à Tournay.


Vous savez comment à Calais séjournoit messire Guillaume de Firenton, Anglois, qui là étoit envoyé de par le roi d’Angleterre et le conseil du pays, et apportoit lettres appareillées pour sceller des bonnes villes de Flandre, qui parloient de grands alliances entre les Anglois et