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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/272

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Anglois qui défuis s’étoient, et vendre tous leurs héritages. Et furent bannis de Flandre à cent ans et un jour Jean Sappleman de Londres et ses compagnons ; et ceux qui furent pris furent mis en la Pierre en prison ; dont il y en ot aucuns qui y moururent, et aucuns qui se rançonnèrent de tout ce que ils avoient de finance.

On dit en un commun proverbe, et voir est, que oncques envie ne mourut. Je le ramentois pourtant que par nature Anglois sont trop envieux sur le bien d’autrui et ont toujours été. Sachez que le roi d’Angleterre et ses oncles et les nobles d’Angleterre étoient durement courroucés du bien et de l’honneur qui étoit advenu au roi de France et aux nobles de France, à la bataille de Rosebecque ; et disoient en Angleterre les chevaliers quand ils en parloient ensemble : « Ha, Sainte Marie ! que ces François font maintenant de fumée pour un mont de vilains qu’ils ont rués jus. Plût à Dieu que ce Philippe d’Artevelle eût eu des nôtres deux mille lances et six mille archers ! il n’en fût jà pied échappé de ces François que tous ne fussent ou morts ou pris ; et par Dieu celle gloire ne leur demeurera mie longuement. Or avons-nous bel avantage de entrer en Flandre ; car le pays a été conquis du roi de France ; et nous le conquerrons pour le roi d’Angleterre. Encore montre bien à présent le comte de Flandre que il est grandement subgiet au roi de France et que il lui veut complaire de tous points, quand tous marchands anglois demeurans à Bruges et qui y ont demeuré passé a trente ans, tels y sont, il a bannis et enchâssés de Bruges et de Flandre. On a vu le temps que il ne l’eût pas fait pour nul avoir ; mais maintenant il n’en oseroit autre chose faire, pour la doutance des François. »

Ainsi et autres paroles langageoient les Anglois parmi Angleterre, et disoient que les choses ne demeureroient mie en ce point. On peut bien et doit supposer que c’étoit par envie.


CHAPITRE CCVII.


Comment le pape Urbain octroya un dixième à être cueilli en Angleterre, et bulle d’absolution de peine et de coulpe pour détruire les Clémentins ; et de l’armée des Anglois sur ce.


En ce temps s’en vint celui qui s’escripsoit pape Urbain sixième de Rome, par mer, à Jennes, où il fut reçu grandement et révéramment des Jennevois, et tint là son siége. Vous savez comment toute Angleterre étoit obéissant à lui tant que de l’église et plus fort que oncques mais, pour la cause de ce que le roi de France étoit Clémentin et toute la France aussi. Cil Urbain, auquel les Anglois et plusieurs autres nations créoient, si s’avisa, lui étant à Jennes, pour nuire au roi de France en quant que il pourroit, que il envoieroit en Angleterre au secours. Je vous dirai en quelle manière : il envoieroit ses bulles aux archevêques et évêques du pays, lesquelles feroient mention que il absolvoit et absoudroit tous ceux de peine et de coulpe qui aideroient à détruire les Clémentins ; car il avoit entendu que Clément son adversaire l’avoit pareillement fait en France et faisoit encore tous les jours ; et appeloient les François les Urbanistes, tant que en foi, chiens ; et aussi les Clémentins il vouloit condamner selon sa puissance en cel état ; et bien savoit que il ne les pouvoit plus grever que par les Anglois. Mais il convenoit, si il vouloit faire son fait, mettre une grand’mise de finance avant ; car bien savoit que les nobles d’Angleterre, pour toutes ses absolutions, ne chevaucheroient point trop avant si l’argent n’alloit devant ; car gens d’armes ne vivent point de pardons, ni ils n’en font point trop grand compte, fors au détroit de la mort. Si regarda que avecques ces bulles il envoieroit en Angleterre devers les prélats pour faire prêcher ; il octroyeroit un plein dixième sur les églises, au roi et aux nobles, pour être pleinement et sans danger payés de leurs gages, sans gréver le trésor du roi, ni la communauté du pays ; à laquelle chose il pensoit que les barons et les chevaliers d’Angleterre entendroient volontiers. Si fit incontinent escripre et grosser bulles à pouvoir, tant au roi comme à ses oncles et aux prélats d’Angleterre, de ces pardons et absolutions de peine et de coulpe. Et avecques tous biens dont il s’élargissoit, il octroioit au roi et à ses oncles un plein dixième par toute Angleterre à prendre et à lever, afin que messire Henry le Despenser, évêque de Norduich, fût chef de ces besognes et gens d’armes. Pour tant que les biens venoient de l’église, il vouloit que il y eût un chef d’église pour les gouverner. Si y ajouteroient les églises d’Angleterre et les communautés plus grand’foi.

Avecques tout ce, pour ce qu’il sentoit le