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CHRONIQUES DE J. FROISSART.


CHAPITRE CCVIII.


Comment l’évêque de Norduich et les Anglois coururent le pays de Flandre ; et de la bataille qu’ils eurent ensemble où les Flamands furent déconfits ; et de la prise de Dunquerque.


Ce propre jour que les chevaliers de Flandre partirent, vinrent nouvelles à l’évêque et aux Anglois que il y avoit à Dunquerque et là environ plus de douze mille hommes, tout armés, et avoient le Bâtard de Flandre en leur compagnie, qui les conduisoit ; et encore y avoit aucuns chevaliers et écuyers qui les conseilloient ; et tant que à Mardique ils avoient escarmouché et rebouté leurs gens, et en y avoit eu bien cent occis. Donc dit l’évêque : « Or regardez du comte de Flandre ; il semble qu’il n’y atouche, et il fait tout ; il veut prier l’épée en la main. Je veuil que nous chevauchons demain, et allons devers Dunquerque voir quels gens il y a. » Tous s’accordèrent à ce propos, et en furent signifiés parmi Gravelines.

Ce soir vinrent deux chevaliers, l’un de Calais et l’autre de Guines, qui amenèrent environ trente lances et soixante archers : les dits chevaliers étoient nommés messire Nicole Clinton et messire Jean Draiton, capitaine de Guines. Quand ce vint au matin, tous s’ordonnèrent et mirent en arroy pour chevaucher, et se trairent sur les champs, et y étoient plus de six cens lances et quinze cens archers. Si chevauchèrent vers Mardique et vers Dunquerque ; et faisoit l’évêque de Norduich porter devant lui les armes de l’église, la bannière de Saint Pierre, de gueules à deux clefs d’argent en sautoir, comme gonfanonnier du pape Urbain ; et en son pennon étoient ses armes, qui sont écartelées d’argent et d’azur, à une frélure d’or sur l’azur et un bâton de gueules sur l’argent ; et pour briser ses armes, car il étoit des Despensiers le mains-né, il portoit une bordure de gueules. Là étoit messire Hue le Despensier, son neveu, à pennon. Là étoient à bannière et à pennon le sire de Beaumont, messire Hue de Cavrelée, messire Thomas Trivet et messire Guillaume Helmen ; et à pennon sans bannière messire Guillaume Draiton et messire Jean son frère, messire Mahieu Redman, messire Jean de Ferrières, messire Guillaume Firenton, et messire Jean de Neuf-Châtel, Gascon. Si chevauchèrent ces gens d’armes vers Mardique, et là se rafreschirent et burent un coup, et puis passèrent outre et prirent le chemin de Dunquerque.

Les Flamands de tout le pays, qui étoient assemblés à Dunquerque, furent signifiés que les Anglois venoient tout appareillés, en ordonnance et en grand’volonté d’eux combattre. Adonc orent-ils conseil ensemble l’un par l’autre que ils istroient hors de Dunquerque et se mettroient aux champs, et tous en bonne ordonnance, pour eux combattre et défendre si il besognoit ; car de eux tenir en la ville et là être enclos, il ne leur étoit point profitable. Si comme ils ordonnèrent il fut fait. Tous s’armèrent dedans Dunquerque et se trairent sur les champs, et se mirent en bon arroi sur une montagne au dehors de la ville ; et se trouvèrent eux bien douze mille et plus. Et véez-cy venir les Anglois ! et en approchant Dunquerque ils regardèrent sur dextre au lez devers Bourbourch, et en approchant la marine ; et voient les Flamands en une belle grosse bataille tout ordonnés. Adonc s’arrêtèrent-ils et n’allèrent plus avant ; car avis leur fut, à l’apparent que les Flamands faisoient et montroient, que ils seroient combattus. Lors se trairent les seigneurs ensemble pour avoir conseil de celle besogne ; et là ot plusieurs paroles retournées ; car aucuns vouloient, et par espécial l’évêque, que tantôt on les allât combattre ; et les autres, le sire de Beaumont et messire Hue de Cavrelée, disoient du non et y mettoient la raison. « Vous savez, disoient-ils, que ces Flamands qui là sont ne nous ont rien forfait, et que encore au voir dire n’avons-nous envoyé au comte de Flandre, sur quel pays nous sommes, nulles défiances : si ne guerroyons pas courtoisement, fors à la bourle[1], sans nul titre de guerre raisonnable. Et outre tout, cil pays où nous sommes est Urbaniste et tient l’opinion que nous tenons. Or regardez doncques à quelle juste cause nous les irions maintenant combattre ni courir sus. » Donc répondit l’évêque : « Et que savons-nous si ils sont Urbanistes ? » — « En nom de Dieu ! dit messire Hue de Cavrelée, ce seroit bon que nous envoyons devers eux un de nos hérauts pour savoir quelle chose ils demandent, de ainsi être là rangés et ordonnés en bataille contre nous, et que il leur soit demandé auquel pape ils tiennent. Si ils répondent à être bons Urbanistes, vous leur requerrez, par la vertu de la bulle du pape que nous avons, que ils s’en

  1. En se moquant, en trompant, de l’italien burla.