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LIVRE II.

en la main et gouvernement de monseigneur Louis le comte de Flandre, qui nous envoie devers vous, en priant que nous, qui sommes de foi et de pension au roi d’Angleterre votre seigneur, ayons un sauf conduit pour aller en Angleterre et pour aller au roi, à savoir pourquoi sans défier il fait guerre à monseigneur le comte de Flandre et à son pays. » Répondit l’évêque : « Nous aurons conseil de vous répondre, et vous en serez répondus le matin. » Pour l’heure ils n’en purent autre chose faire ni autre réponse avoir ; assez leur suffit ; si se trairent à leurs hôtels et laissèrent les Anglois conseiller, qui orent ce soir conseil ensemble tel que je vous dirai.

Tout considéré, et regardé leur fait et l’emprise que ils avoient empris, ils dirent que à ces chevaliers ils n’accorderoient nul sauf conduit pour aller en Angleterre ; car le chemin y est trop long ; et entrementes que ils iroient et retourneroient, et que le pays seroit assur, il se pourroit nullement fortifier, et le comte qui est subtil signifier son état au roi de France ou au duc de Bourgogne, parquoi dedans briefs jours si venroient tant de gens contre eux que ils ne seroient pas forts assez du résister ni du combattre. Ce conseil arrêtèrent-ils : « Et quelle chose répondrons-nous demain matin à eux ? » Messire Hue de Cavrelée en fut chargé du dire et de en donner le conseil. Si dit ainsi à l’évêque : « Sire, vous êtes notre chef, si leur direz que vous êtes en la terre de la duchesse de Bar, qui est Clémentine ; et pour Urbain et non pour autre vous faites guerre ; et si les gens de celle terre, les abbayes et les églises veulent être bons Urbanistes et cheminer avecques vous où vous les mènerez, vous passerez parmi le pays et ferez passer vos gens paisiblement pour payer tout ce qu’ils prendront. Mais tant que de eux donner sauf conduit d’aller en Angleterre, vous n’en ferez rien, car notre guerre ne regarde de rien la guerre du roi de France ni du roi d’Angleterre ; mais sommes soudoyers au pape Urbain ; et il m’est avis que cette réponse doit suffire. » Tous ceux qui là étoient l’accordèrent, et espécialement l’évêque qui n’avoit cure quelle chose que on fît ni desist, mais que on se combattît et que on guerroyât le pays : ainsi demeura la besogne celle nuit.

Quand ce vint à lendemain après la messe, les deux chevaliers du comte, qui désiroient à faire leur voyage et d’avoir réponse, s’en vinrent à l’hôtel de l’évêque, et attendirent tant que ils orent ouï la messe ; puis ils se mirent en sa présence. Il leur fit bonne chère, par semblant, et jangla[1] un petit à eux d’autres besognes, pour détrier tant que ses chevaliers fussent venus. Quand ils furent tous ensemble, l’évêque parla et dit ainsi : « Beaux seigneurs, vous attendez réponse ; vous l’aurez. Sur la requête que vous avez faite de par le comte de Flandre, je vous dis que vous vous pouvez bien retraire et retourner quand vous voudrez devers le comte, ou aller devers Calais en votre péril, ou en Angleterre autant bien ; mais je ne vous donne nul sauf conduit ; car je ne suis pas du roi d’Angleterre chargé si avant que pour ce faire. Je suis soudoyer au pape Urbain, et tous ceux qui sont en ma compagnie sont à lui et à ses gages, et ont pris ses deniers pour le servir. Or nous trouvons-nous à présent en la terre de la duchesse de Bar, qui est Clémentine : si ses gens veulent tenir son opinion, nous leur ferons guerre ; et si ils veulent venir avecques nous, ils partiront à nos absolutions ; car Urbain, qui est notre pape et pour qui nous voyageons, absout tous ceux de peine et de coulpe qui aideront à détruire les Clémentins. »

Quand les deux chevaliers entendirent celle parole si partirent, et dit messire Jean Vilain : « Sire, tant comme aux papes, je crois que vous n’avez point ouï parler du contraire que monseigneur de Flandre ne soit bon Urbaniste ; si êtes mal adressé si vous lui faites guerre ni à son pays ; et il croit que le roi d’Angleterre ne vous a pas chargé si avant que de lui faire guerre ; car si guerre lui voulsist faire, il est bien si noble et si avisé que il l’eût avant fait défier. » De celle parole s’enfellonny l’évêque, et dit : « Or allez, si dites à votre comte que il n’en aura autre chose ; et si il vous veut envoyer en Angleterre, ou autres gens, mieux savoir l’intention du roi, si voisent ceux qui envoyés y seront ailleurs prendre leur chemin ; car par ci ni par Calais ne passeront-ils point. » Quand les chevaliers virent qu’ils n’en auroient autre chose, ils se départirent et prirent congé, et retournèrent à leur hôtel et dînèrent, et puis montèrent à cheval et vinrent ce jour gésir à Saint-Omer.

  1. Causa familièrement.