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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/281

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LIVRE II.

à peine de ceux de dedans osoit nul venir ni être à la défense. Toutefois ceux qui se tenoient amont en leurs garites étoient pourvus de pierres et de pièces de bois, et d’artillerie assez raisonnablement ; si jetoient par effort et traioient sur ceux qui étoient en bas, et tant que ils en blessèrent plusieurs. Mais finablement l’assaut fut si bien continué, et si fort s’y éprouvèrent les Anglois, que le moûtier fut pris de force, et messire Guillaume de Merle dedans qui moult vaillamment se combattit et défendit ; aussi firent tous les autres ; et si ils espérassent à avoir confort de nul côté, ils se fussent encore mieux tenus et plus longuement ; mais nul confort ne leur apparoît ; pourtant furent-ils plus légers à prendre. Si demeura messire Guillaume de Merle prisonnier devers les Anglois ; et puis se mit à finance et retourna en France du bon gré son maître, par obligation, ainsi que tous gentilshommes françois et anglois ont toujours fait ouniement l’un à l’autre ; et ce n’ont pas fait Allemands ; car quand un Allemand tient un prisonnier il le met en ceps et en fers, en chaînes et en dures prisons, ni il n’en a nulle pitié ; et tout pour plus avoir grand’finance et grand’rançon d’argent.

Quand l’évêque de Norduich et les Anglois partirent de Saint-Venant, ils s’en vinrent loger ens ès bois de Nieppe qui n’étoient mie loin de là, et environ Bailleul en Flandre. Si entrèrent en la chastellerie de Pourpringhe, et de Messine et prirent toutes ces villes là, et y trouvèrent très grand’finance et moult de pillage ; et toutes les villes fermées, ils retenoient pour eux et mettoient en leur obéissance ; et là retraioient leur butin à Berghes et à Bourbourch. Quand ils orent de tout le pays fait leur volonté, ni nul ne leur alloit au devant, et qu’ils furent tous seigneurs de la marine de Gravelines jusques à l’Écluse, de Dunquerque, de Neuf-Port, de Furnes, de Blanquenbourch, ils s’en vinrent mettre le siége devant Yppre ; là s’arrêtèrent l’évêque de Norduich et les Anglois, messire Hue de Cavrelée et les autres ; et puis envoyèrent devers ceux de Gand ; et me semble que François Acreman y alla, qui avoit été à la bataille et à tous ces conquêts, et avoit mené les Anglois de ville en ville et de fort en fort.

Quand Piètre du Bois, et Piètre de Vintre et les capitaines de Gand entendirent que les Anglois les mandoient, et qu’ils séoient à siége devant la ville de Yppre, si en furent grandement réjouis ; et se ordonnèrent au plus tôt qu’ils purent de aller celle part ; et se départirent de la ville de Gand un mercredi au matin après les octaves Saint-Pierre et Saint-Paul environ vingt mille, à grand charroi et en bonne ordonnance, et s’en vinrent tout parmi le pays et au dehors de Courtray, devant la ville de Yppre. De leur venue furent les Anglois moult réjouis, et leur firent grand’chère ; et leur dirent que tantôt ils auroient conquis Yppre , et puis iroient prendre Bruges, le Dam et l’Écluse ; et ne faisoient nulle doute que dedans le mois de septembre toute Flandre seroit acquise à eux. Ainsi se glorifioient-ils en leurs fortunes.

Si étoit pour le temps capitaine de la ville de Yppre un moult sage et avisé chevalier, qui s’appeloit messire Pierre de la Sieple, qui là dedans s’étoit mis et bouté : par lui et par son sens s’ordonnoient toutes les besognes et les gens d’armes qui là dedans étoient boutés de par le duc de Bourgogne et le comte de Flandre. Avec le dessus dit chevalier étoit messire Jean de Bourgrave, chastelain de Yppre, messire Baudoin de Velledène, son fils le seigneur d’Yssenghien, le seigneur d’Estades, messire Jean Blanchart, messire Jean Hamel, messire Jean de Herselède, messire Nicolle Belle, le seigneur de Hollebecque, le seigneur de Roleghen, messire Jean Ahoutre, Jean de la Sièple écuyer, neveu au capitaine, messire Jean Belle, François Belle, messire George Belle, et plusieurs autres appertes gens d’armes, lesquels avoient grand soin, peine et travail pour les Anglois qui soubtivement et soigeusement les assailloient, peine et cremeur pour ceux de la ville que il n’y eût aucuns mauvais traîtres envers ceux de Gand, par quoi ils échéissent en danger par trahison de ceux de la ville de Yppre.

En ce temps se tenoit en la ville de Courtray, et en étoit capitaine un vaillant chevalier de Hainaut, qui s’appeloit messire Jean de Jumont ; et s’y étoit bouté à la prière et requête du duc de Bourgogne et du comte de Flandre. Et quand il y entra, nul chevalier de Flandre n’en osoit emprendre la charge ni le faix, tant étoit périlleuse à garder. Et quand le roi de France s’en partit, elle fut toute désemparée et exillée, par quoi moult petit de gens y demeuroient ni sé-