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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

journoient ; car tout étoit ars et abattu, ni à peine savoit-on dessous toit où loger ses chevaux. Celle haute emprise de la garder emprit messire Jean de Jumont, et la rempara tantôt, et fit, Dieu merci, que par sa garde il n’y ot nul dommage, fors que tout honneur. Le duc de Bourgogne, qui entendoit soigneusement aux besognes de Flandre, car elles lui étoient si prochaines que bien lui touchoient, envoya de France environ soixante lances de Bretons devers Courtray pour rafreschir et reconforter messire Jean de Jumont ; et vinrent ces gens d’armes au commandement du duc jusques à Lille. Ils se partirent un vendredi au matin de Lille et prirent le chemin de Comines, et firent tant que ils y parvinrent. Et étoient le sire de Saint-Léger et Yvonnet de Taintiniac capitaines de ces gens.

En la ville de Comines étoient venus au matin, au point du jour, bien deux cents lances d’Anglois pour accueillir la proie du plat pays et mener devant Yppre. Ces gens d’armes bretons ne se donnoient de garde ; si échéirent en leurs mains. Là ot dur rencontre et fort au pied du pont de Comines, et vaillamment se portèrent les Bretons. Et si ils eussent été secourus d’autant de gens d’armes et d’autant d’archers comme ils étoient, ils s’en fussent bien partis sans dommage ; mais ils se trouvèrent trop peu contre tant de gens ; si les convint fuir et mettre en chasse. Si en y eut la greigneur partie des leurs morts et pris sur les champs en retournant vers Lille, et fut le sire de Saint-Léger navré durement et laissé pour mort sur la place : heureux furent ceux qui à ce rencontre échapper purent. Et dura la chasse de ces Anglois à ces Bretons jusques à demi-lieue près de la ville de Lille, en laquelle ville le sire de Saint-Léger à grand’peine tout navré fut apporté ; et mourut depuis au chef de cinq jours, et ainsi firent cinq de ses écuyers. Ainsi alla de celle aventure.

Toujours se tenoit le siége devant Yppre grand et fort, et faisoient les Anglois et les Flamands qui séoient devant plusieurs assauts ; et trembloient et se doutoient moult de ceux de la ville. Le comte de Flandre, qui se tenoit à Lille, n’étoit pas bien assur de ce côté-là que Yppre ne fût prise ; car Anglois sont subtils, et si leur pouvoit venir d’Angleterre grand confort, sans nul empêchement, de Calais, par les garnisons que ils avoient prises en venant là sur le chemin. Voirement eussent-ils grand confort d’Angleterre, si ils voulsissent ou daignassent ; mais ils n’en comptoient à ce commencement que un petit, ni guères ne prisoient la puissance de France ni de Flandre. Et se tenoient aucuns hauts barons sur les marches de Douvres, d’Exsex, de Zandvich et de la comté de Kent, tous appareillés pour passer la mer et arriver à Calais et venir aider leurs gens, mais que ils en fussent signifiés ; et étoient bien mille lances et deux mille archers sur les frontières que j’ai dites, desquels gens d’armes messire Guillaume de Beauchamp et messire Guillaume de Windesore, maréchaux d’Angleterre, étoient élus à souverains de par le roi et tout son conseil. Et pour celle cause perdit le duc de Lancastre à faire en celle saison son voyage en Portingal ; car toute Angleterre étoit trop plus inclinée, si comme je vous ai dit ci-dessus en l’histoire, à l’armée de l’évêque de Norduich que à celle du duc de Lancastre.

Le comte de Flandre savoit bien toutes ces besognes et ces incidences comment elles se portoient, tant en Angleterre comme devant Yppre. Si avisa que il y pourverroit de remède à son loyal pouvoir. Bien supposoit que le duc de Bourgogne émouveroit le roi de France et les barons du royaume à venir bouter hors les Anglois de la comté de Flandre et du pays que ils avoient l’année devant conquis ; et pour ce que il savoit que les mandemens de France sont si lointains, et les seigneurs qui doivent servir le roi de si lointaines marches que moult de choses peuvent avenir ainçois que ils soient tous venus, il s’avisa ainsi que il envoieroit devers l’évêque du Liége messire Arnoul de Horne, qui était bon Urbaniste, afin que il vînt devant Yppre traiter aux Anglois, que ils se voulsissent déloger de là et traire autre part ; car il avoit très grand’merveille que ils lui demandoient, quand il étoit Urbaniste très bon et la comté de Flandre aussi, ainsi que tout le monde le savoit. Tant exploita le comte de Flandre par moyens et par subtils traités que l’évèque du Liége vint en Hainaut ; et passa à Valenciennes, et alla à Douay et puis à Lille, et parla au comte qui l’informa de tout ce qu’il vouloit qu’il dît. Adonc vint l’évêque du Liége devant Yppre, où l’évêque de Norduich et les Anglois et ceux de Gand séoient, qui le recueillirent liement, et l’ouïrent volontiers parler.