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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Nouvelles vinrent au roi de France qui se tenoit en la cité d’Arras, et à ses oncles, et aux hauts seigneurs qui là étoient, que les Gantois étoient issus et partis du siége de Yppre, et les Anglois aussi, et chacun retrait en son lieu. Adonc ot le roi conseil de hâter ses besognes et de eux poursuir, et ne vouloit pas que ils lui échappassent. Ainsi se partit d’Arras et vint au Mout-Saint-Éloy, une moult belle abbaye ; et là se tint quatre jours, tant que le duc de Berry fût venu ; et toujours venoient et applouvoient gens de tous lez. Et fut sçu par le connétable et par les maréchaux, et par messire Guichart Dauphin, maître des arbalêtriers, que le roi avoit plus de cent mille hommes. Adonc se départit le roi du Mont-Saint-Éloy et prit le chemin de Saint-Omer, et vint à Aire, dont le vicomte de Meaux étoit capitaine ; et là séjourna deux jours. Et toujours approchoient gens d’armes ; et jà étoient le connétable et ceux de l’avant-garde devant, et logeoient en la vallée du mont de Cassel. Et le roi s’en vint à Saint-Omer, et là s’arrêta en attendant ses gens qui venoient et arrivoient de tous pays et de toutes parts. Et vous dis que quand le duc Frédéric de Bavière descendit en l’ost du roi de France, les grands barons de France pour lui honorer lui allèrent au devant, pourtant que de si lointaines marches il étoit venu voir et servir le roi. Et proprement le roi lui fit grand’chère et lui sçut gré de sa venue ; et le fit loger tout le voyage au plus près de lui comme il put par raison. En l’ost avoit bien, tant de ceux de France que des étrangers qui venus étoient servir le roi de France, environ trois cent cinquante mille chevaux ; et se peut et doit-on émerveiller où pourvéances pouvoient être prises pour assouvir un tel ost : si étoit celle fois que on en avoit grand’faute et autre fois assez par raison.

Le comte Guy de Blois qui se tenoit à Beaumont en Hainaut, quoique il ne fût pas bien haitié, mais tout pesant, pour la forte et longue maladie que il avoit eue en l’été, imagina en lui-même que ce ne lui seroit pas honorable chose de séjourner, quand tant de si hauts princes et de si nobles se trouvoient sur les champs. Et aussi on le demandoit ; car il étoit un des grands chefs de l’arrière-garde : si valoit trop mieux que il se mît à chemin et à voie et en la volonté de Dieu, que ce que on supposât que il demeurât derrière par feintise. Le gentil sire se mit à chemin, et ne pouvoit nullement souffrir le chevaucher ; mais il se mit en litière et se partit de son hôtel et prit congé à madame sa femme et à Louis son fils. Plusieurs gens de son conseil même lui tournoient ce voyage à grand outrage, et pour la cause de ce que il faisoit chaud et étoit le temps moult enfermé ; et les autres qui en oyoient parler lui tournoient à grand’vaillance.

Avec lui se départirent de Hainaut le sire de Haverech, le sire de Senzelles, messire Girart de Warrières, messire Thomas de Distre, le sire de Doustienne, messire Jean de la Glistelle, qui devint chevalier en ce voyage, et plusieurs autres. Si passa parmi Cambray, et puis vint à Arras ; et se mirent tous ensemble : si se trouvèrent bien quatre cents lances. Et toudis les suivoient leurs pourvéances qui venoient de Hainaut, belles et grandes ; car de ce étoit-il bien étoffé. Or parlons du roi de France comment il persévéra.

Tant exploita le roi de France que il vint à Saint-Omer, et là s’arrêta et rafreschit ; et l’avant-garde, le connétable et les maréchaux, allèrent vers le mont de Cassel que aucuns Anglois tenoient. Si assaillirent la ville ; et fut prise d’assaut, et tous ceux morts qui dedans étoient ; et ceux qui échappèrent se retrairent vers la ville de Berghes, là où messire Hue de Cavrelée étoit et bien trois mille Anglois. Et l’évêque de Norduich n’y étoit pas, ainçois étoit retrait vers Gravelines, pour tantôt être à Calais, si mestier faisoit. Tout le pays d’environ Cassel fut ars, pillé et délivré des Anglois. Et s’en vint le roi de France de Saint-Omer loger en une abbaye outre au chemin de Berghes, que on dit Ravensberghe ; et là s’arrêta ; ce fut un vendredi. Le samedi au matin chevauchèrent ceux de l’avant-garde, le connétable de France et les maréchaux, le sire de Coucy et grand’foison de bonnes gens d’armes ; et s’en vinrent devant le chastel de Drichehan où il avoit environ trois cents hommes d’armes anglois qui le tenoient et qui toute la saison une grand’garnison faite en avoient. On fit assaut au chastel grand et fort, et s’éprouvèrent grandement les François ; faire le convenoit qui conquérir le vouloit, car ces Anglois qui dedans étoient le défendoient si très bien que merveille seroit à penser. Toutefois, par bien assaillir et par beau fait d’armes, le chastel fut conquis, et tous ceux morts qui de-