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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/287

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LIVRE II.

dans étoient ; ni le connétable n’en prenoit ni ne vouloit nul prendre à merci, et là fut trouvé en la basse cour le plus bel blanc cheval, et de plus gente taille que on n’eût point vu en toute l’armée ; si fut présenté au connétable ; et tantôt le connétable l’envoya au roi de France. Le roi vit le cheval moult volontiers et lui plut grandement bien et le chevaucha le dimanche tout le jour.

Adonc vint le comte de Blois et sa route en l’ost. Si fut par ordonnance en l’arrière-garde, si comme il avoit été l’année devant à Rosebecque, le comte d’Eu, le comte de Harecourt, le sire de Chastillon et le sire de Fère en sa compagnie ; et toujours applouvoient gens d’armes de tous côtés ; et faisoit une très belle saison et sèche : autrement sur celle marine gens et chevaux eussent eu trop fort temps, ni on ne pût être allé avant.

En la ville de Berghes, qui n’étoit fermée que de simples palis et de fossés étoient retraits tous les Anglois, excepté l’évêque, lequel s’en étoit allé à Gravelines, ainsi que tout ébahi. Et se repentoit grandement en courage de ce qu’il avoit empris en celle saison ce voyage ; car il véoit bien qu’il issoit de ses conquêts en grand blâme. Et plus avant il avoit mises paroles outre qui étoient épandues parmi le royaume de France ; car il s’étoit vanté, lui étant au siége devant Yppre, que là il attendroit le roi de France et sa puissance et le combattroit. Or véoit-il comment il lui avoit convenu soudainement partir du siége et fuir, car sa puissance ne pouvoit pas faire fait contre celle du roi de France. Si contournoit tout en grand blâme : aussi faisoient les Anglois qui à Calais étoient, et disoient que ils avoient mal employé l’argent du pape. Au voir dire, le duc de Lancastre, qui se tenoit en Angleterre, et qui avoit perdu par le fait de l’évêque son voyage pour celle saison, ne voulsist mie que la chose allât autrement : aussi ne fissent tous les barons d’Angleterre ; car quand messire Jean de Beauchamp et messire Guillaume de Windesore leur mandèrent, eux étant devant Yppre, que si ils vouloient gens et confort ils en auroient assez, l’évêque répondit, aussi fit messire Thomas Trivet et messire Guillaume Helmen, que ils avoient gens assez et que plus n’en vouloient pour combattre le roi de France et sa puissance. Mais messire Hue de Cavrelée qui avoit plus vu de besognes que eux tous avoit toujours parlé autrement, et avoit dit à la requête des barons d’Angleterre, le siége étant devant Yppre, quand les nouvelles leur en vinrent : « Seigneurs, vous vous confiez grandement en votre puissance ; pourquoi refusons-nous le confort de nos gens quand ils se offrent à nous ? Un jour pourroit venir que nous nous en repentirions. » Mais de ces paroles ne put être ouï, et disoient que ils avoient gens assez. Si demeura la chose en cel état, et tant que ils perdirent plus que ils n’y gagnèrent.


CHAPITRE CCXII.


Comment les Anglois, voyans l’armée du roi de France, se partirent de Berghes ; et comment le roi alla mettre le siége devant Bourbourch, et de l’ordonnance du dit siége.


Quand messire Hue de Cavrelée fut retrait à Berghes, il se logea et fit loger toutes ses gens par hôtels et par maisons, et là se trouvèrent les Anglois eux plus de quatre mille, parmi les archers. Si dit messire Hue : « Je veuil que nous tenons celle ville, elle est forte assez, et nous sommes gens assez pour la tenir ; espoir aurons-nous dedans cinq ou six jours confort d’Angleterre, car on sait ores tout notre convenant et le convenant de nos ennemis en Angleterre. » Tous répondirent : « Dieu y ait part. » Adonc s’ordonnèrent-ils moult sagement et se partirent par pennons et par compagnies pour aller aux murs et aux défenses et pour garder les portes et le pas ; et se trouvoient gens assez ; encore mirent-ils et firent retraire toutes les dames et les femmes de la ville en l’église, et elles là tenir sans mouvoir ni partir ; et aussi tous les enfans et les anciennes gens. Le roi de France, qui étoit logé en l’abbaye de Ravensberghe, entendit que les Anglois étoient retraits en la ville de Berghes ; adonc se mit le conseil ensemble. Si fut ordonné que on se trairoit celle part et que l’avant-garde du connétable et les maréchaux chevaucheroient tous les premiers et iroient loger outre la ville et prendroient une des ailes de la ville ; en après le comte de Flandre et le duc de Bretagne et leurs gens prendroient une autre des ailes de la ville ; et puis le roi de France, les ducs de Berry, de Bourgogne, de Bourbon et leurs grosses routes les suivroient ; et puis le comte de Blois, le comte d’Eu et l’arrière-garde sur une autre aile de la ville ; et ainsi enclorroient-ils là les Anglois.