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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/305

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LIVRE II.

cusa en disant : Que le roi d’Escosse avoit bénignement reçu les messagers du roi de France et entendu à ces traités ; et tant que pour tenir la trève, il avoit fait à ce entendre et incliner ce qu’il avoit pu ses hommes ; mais les marchissans[1] d’Escosse à la terre du seigneur de Percy et du comte de Nortinghen, tels que le comte de Douglas, le comte de la Mare, son oncle, messire Archembaulx, messire James, messire Pierre, messire Guillaume et messire Thomas Douglas, et tous ces frères de Lindesée et tous ceux de Ramesay, et messire Guillaume Assueton avecques ne vouldrent oncques demeurer ens ès parlemens pour accepter la trève ; et disoient que on leur avoit fait et porté grand dommage en leurs terres, lesquelles choses leur étoient déplaisans et à tous leurs amis, et s’en contrevengeroient quand ils pourroient. « Et quand les seigneurs, mes chers seigneurs, que je vous ai nommés, firent leur assemblée pour aller en Angleterre, si comme ils ont fait, oncques ils n’en parlèrent au roi ni à ceux de sa chambre ; car bien savoient que on ne leur eût pas consenti, nonobstant que ils disent en Escosse que la première incidence de celle guerre meut de vous ; car bien saviez, mes seigneurs, ce disent les maîtres, que la trève étoit prise et accordée de là la mer ; et en devions être tantôt, vous retournés de Calais en Angleterre, signifiés. Et outre ils disent : que les ambassadeurs de France qui par cy passèrent, furent détriés à non venir devers nous en Escosse, si comme ils dussent, et trop longuement les tîntes en séjour et en solas, pourquoi le meschef avenu est encouru entre Escosse et Angleterre des parties qui se sont regardées et avisées ; et que sous ombre de dissimulation la plus grand’part de ces choses est faite et accomplie. Mais mon très redouté seigneur le roi d’Escosse, et ceux de sa chambre, et les ambaxadeurs du roi de France qui à présent séjournent de-lez lui, se excusent et veulent excuser ; et disent que la dernière armée que les barons et chevaliers aucuns d’Escosse ont fait en Angleterre, ils n’en savoient, ni n’ont sçu ; mais en ont ignoré et ignorent. Et pour dresser toutes choses et mettre et reformer en bon état, je suis chargé de vous dire que, si vous voulez entendre aux traités qui furent faits darrenièrement de là la mer par la haute et droite et noble discrétion du conseil du roi de France et la vôtre, à confirmer la trève, à durer le terme que durer doit, mon très redouté seigneur le roi d’Escosse et ses nobles consaulx la confermeront et jureront à tenir entièrement, et la fera mon très redouté seigneur, pour la révérence du roi de France et de son noble conseil, tenir à ses hommes ; et de ce il vous en plaise à moi donner réponse. »

Le roi d’Angleterre et ses oncles entendirent bien le héraut parler et l’ouïrent moult volontiers ; et lui répondit le duc de Lancastre que voirement en seroit-il répondu. Adonc le firent-ils demeurer à Londres où il les avoit trouvés, pour attendre et avoir réponse du roi d’Angleterre.

Au chef de deux jours il fut répondu du conseil du roi, et me semble que messire Simon Burlé, chambellan du roi[2], fit la réponse ; et furent les choses touchées et mises en bon parti ; car au voir dire, tout considéré, les seigneurs d’Angleterre qui au parlement avoient été à Lolinghen n’avoient pas trop honorablement fait quand ils avoient consenti et envoyé leurs gens courir en Escosse et ardoir le pays, quand ils savoient que trèves y avoit et devoit avoir. Et l’excusance la plus belle que ils pouvoient trouver ni prendre, elle étoit que ils ne le devoient pas signifier aux Escots, mais en devoient être certifiés par les François. Si fut dit au héraut que, au nom de Dieu, il fût le bien venu ; et que c’étoit l’intention du roi d’Angleterre, de ses oncles et de leurs consaulx, que ce qu’ils avoient juré, promis et scellé à tenir, ne faisoit pas à enfreindre ; mais le vouloient confirmer et parmaintenir ; et qui le plus y eût mis, plus y eût perdu.

De toutes ces choses demanda le héraut lettres, afin qu’il en fût mieux cru. On lui bailla, et beaux dons et de bons assez avecques, tant qu’il s’en contenta grandement et en remercia le roi et les seigneurs ; et se partit de Londres, et exploita tant par ses journées que il retourna en Escosse ; et vint à Haindebourch où le roi d’Escosse et les messagers de France l’attendoient pour avoir réponse, et désiroient à savoir comment les Anglois se voudroient maintenir. Quand il fut sçu entre eux les réponses du roi et de ses oncles, et par lettres scellées ils les virent appa-

  1. Les chefs féodaux limitrophes.
  2. Simon de Burley était alors gouverneur de Douvre et des cinq ports.