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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/304

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[1384]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

tèrent tant par leurs journées que ils vinrent à Haindebourch, et ne firent nul semblant de chose qu’ils dussent faire. Ils n’eurent pas séjourné douze jours là que le comte de Douglas tout secrètement les manda, et leur envoya chevaux, que ils vinssent parler à lui en son chastel de Dalquest ; ils y vinrent. Au lendemain que ils furent là venus, il les emmena avecques lui sur un certain lieu et marche où les barons et les chevaliers d’Escosse faisoient leur mandement ; et se trouvèrent sous trois jours plus de quinze mille, aux chevaux et tous armés, selon l’usage de leur pays.

Adonc quand ils se trouvèrent tous ensemble vouldrent-ils faire leur chevauchée ; et dirent que ils se contrevengeroient des dépits et dommages que les Anglois leur avoient faits. Si se mirent au chemin ; et passèrent les bois et les forêts de leur pays, et entrèrent en Northonbrelande en la terre au seigneur de Percy, et la commencèrent à piller et à ardoir ; et là chevauchèrent moult avant, et puis s’en retournèrent par la terre au comte de Northinghen et du seigneur de Moutbray, et y firent moult de desrois ; et passèrent à leur retour devant Rosebourch, mais point n’y assaillirent. Et avoient grand pillage avecques eux de hommes et de bêtes ; et entrèrent en leur pays sans dommage, car les Anglois s’étoient retraits. Si ne se fussent jamais sitôt remis ensemble que pour combattre les Escots ; et leur convint porter et souffrir celle buffe, car ils en avoient donné une autre aux Escots.

De celle chevauchée se pouvoit bonnement excuser le roi d’Escosse, car de l’assemblée ni du département il ne savoit rien ; et puisque le pays en étoit d’accord, il ne convenoit point que il le sçût ; et si scu l’eût, au cas qu’il n’y eût eu entre les Escots et les Anglois autre convenant qu’il n’y avoit, si n’en eussent-ils rien fait pour lui. Et quoique ces barons et ces chevaliers d’Escosse, et les chevaliers et écuyers de France, chevauchassent et eussent chevauché en Angleterre, si se tenoient à Haindebourch, de-lez le roi Robert, messire Aymard de Marse, messire Pierre Fresnel et Janekin Champenois[1], et laissoient les Escots convenir, car ils n’en pouvoient autre chose avoir. Mais par conseil, et afin que les Anglois ne pussent mie dire que ce fût leur coulpe, et que eux étant en Escosse et de-lez le roi d’Escosse ces choses se fissent de leur accord, et que ils voulsissent rompre les traités qui avoient été faits et accordés à Lolinghen, de-lez la ville de Wissan, des nobles et consaulx de France, d’Angleterre et de Castille, le roi d’Escosse et les ambaxadeurs de France envoyèrent un héraut des leurs en Angleterre, devers le roi et ses oncles et le conseil d’Angleterre, chargé et informé quelle chose il diroit et devoit dire. Quand le héraut fut venu en Angleterre devers le roi et ses oncles, il trouva tout le pays ému ; et vouloient chevaliers et écuyers de rechef mettre leur armée sus et retourner sur Escosse. Le duc de Lancastre et le comte de Cantebruge qui désiroient trop grandement à aller dedans l’an en Portingal et en Castille, ou l’un d’eux, atout grand’puissance de gens d’armes et d’archers, car ils se tenoient héritiers de par leurs femmes et leurs enfans de toute Castille, et la guerre se tailioit bien à renouveler entre le roi de Castille et le roi de Portingal ; car le roi Damp Ferrand de Portingal étoit mort ; si avoient les Portingalois couronné à roi Damp Jean, son frère bâtard[2], très vaillant homme qui ne désiroit que la guerre aux Espaignols, mais qu’il eût l’alliance et confort des Anglois : de tout ce étoient le duc de Lancastre et son frère, le comte de Cantebruge, tous sûrs et certifiés ; si se dissimuloient ce qu’ils pouvoient, et faisoient dissimuler leurs amis, afin que nul emblaiement ou empêchement de guerre ne se remît en Escosse.

Quand le héraut du roi d’Escosse fut venu en Angleterre devers le roi et ses oncles, bien informé de ce qu’il devoit dire, il se mit à genoux ; et pria et requit que comme héraut au roi d’Escosse, il pût être ouï à faire son message. Le roi et les seigneurs lui accordèrent ; ce fut raison. Là leur remontra-t-il sur quel état il étoit là venu et envoyé, du roi singulièrement et des ambaxadeurs du roi de France, et les ex-

  1. On trouve dans Rymer, sous la date du 13 février 1384, un sauf-conduit donné à Guichard Marsey, chevalier, à maître Pierre Frisevelle, conseiller du roi, à Jean Champeney, seigneur d’armes, et à quarante autres Français pour se rendre en Écosse et pour en revenir, avec ordre de leur fournir des chevaux, de l’argent, des vivres et des harnais sur la route.
  2. Jean Ier, le grand-maître d’Avis, fils bâtard du roi D. Pèdre et de Thérèse Lourenço, ne fut proclamé solennellement roi de Portugal que le 6 avril 1385. L’année 1385 commença au 2 avril.