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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

serons aux champs, nous nous en irons à coite d’éperons à Gand, ainsi n’aurons-nous garde des François. » Ceux de son conseil répondirent : « Vous avez bien parlé. »

Adonc s’ordonnèrent-ils sur cel état, et firent trousser le soir toutes leurs bonnes choses, et mirent femmes et enfans prisonniers dedans le moûtier ; et proprement ils firent entrer les dames chevaleresses qui là étoient, madame de Douzielles, madame d’Escornay, madame de Hezebethe et autres, et leurs damoiselles, et leur dirent : « Nous vous mettons ici, pour la cause de ce que demain nous devons avoir un trop grand assaut ; si ne voulons pas que vous vous ébahissiez du trait et des canons. » Tous et toutes se appaisèrent et cuidèrent que il fût ainsi. Avecques tout ce, après jour faillant, François Acreman et sa route allèrent autour de la ville pour voir le guet ; et n’y avoit en ce guet nul Gantois fors ceux de la ville. Si leur dit François : « Seigneurs, or faites anuit bon guet et ne vous partez point des créneaux pour choses que vous oyez ni voyez ; car le matin nous aurons l’assaut ; mais je veuil celle nuit aller réveiller l’ost. »

Il étoit cru de sa parole, car tous cuidoient que il dist voir. Quand François Acreman ot ainsi ce fait et ordonné, il s’en vint en la place où tous leurs chevaux étoient ensellés ; et montèrent à cheval et issirent hors par la porte devers Gand, et se mirent au chemin. Ils n’orent pas la ville éloignée demi-lieue qu’il fut jour ; et s’aperçurent ceux du Dam que François Acreman et les Gantois s’en alloient. Adonc se tinrent-ils pour deçus ; et commencèrent les capitaines de la ville à traiter devers les gens du roi ; et disoient que ils avoient le soir occis François Acreman.

Quand plusieurs gens de la ville du Dam aperçurent que François Acreman et les Gantois s’en alloient sans retourner, et que la porte étoit ouverte, si se mirent au chemin après eux, chacun qui mieux mieux. On sçut ces nouvelles en l’ost : plusieurs gens d’armes bretons et bourguignons, et par espécial ceux qui désiroient à gagner, montèrent sur leurs chevaux et se mirent en chasse, et poursuivirent les Gantois jusques à deux lieues de Gand. Si en y ot des fuyans occis grand’foison, et pris plus de cinq cens ; mais en ceux là y ot petit de Gantois ; fors de ceux du Dam qui s’enfuyoient. Et entrementes que la chasse se faisoit de toutes parts, on assailloit la ville où point de défense n’avoit : si entrèrent ens les François par échelles, et passèrent les fossés à grand’peine. Quand ils furent dedans ils cuidèrent avoir merveilles gagné ; mais ils ne trouvèrent rien dedans que povres gens, femmes et enfans, et grand’foison de bons vins. Donc, par dépit et par envie, Bretons et Bourguignons boutèrent le feu en la ville, et fut presque toute arse ; de quoi le roi et le duc de Bourgogne furent durement courroucés ; mais amender ne le purent : si leur en convint passer. Si furent les gentilles dames sauvées et gardées sans nul mal avoir.

Après la prise du Dam, que le roi de France et les François reprindrent, si comme ci-dessus est contenu, on ot conseil que on se délogeroit ; et iroit le roi loger à Artevelle, à deux petites lieues près de Gand, et entrementes que le roi se tenroit là, les gens d’armes efforcément chevaucheroient outre ens ou pays des Quatre-Métiers, et détruiroient tout icelui pays, pour la cause que toutes douceurs en étoient du temps passé venues à Gand, et avoient ceux de ce pays, que on dit les Quatre-Métiers, plus conforté les Gantois que nulles autres gens. Adonc se départit-on du Dam et prit-on le chemin d’Artevelle ; et là vint le roi loger.

Entrementes entrèrent ces gens en ce pays des Quatre-Métiers, et l’ardirent et détruisirent tout entièrement, et abatirent tours et forts moûtiers qui toudis s’étoient tenus, et n’y laissèrent oncques entière maison ni hamel, hommes ni femmes ni enfans ; tout fut chassé ens ès bois, ou tout occis.

Quand les François orent fait celle envahie, il fut ordonné que on iroit mettre le siége devant le chastel de Gavre, et puis retourneroit-on devant Gand ; mais il n’en fut rien ; je vous dirai pourquoi. Le roi de France étant à Artevelle, qui y fut environ douze jours, nouvelles lui vinrent de Honguerie, de par la roine ; car là vint l’évêque de Bausseren en ambaxaderie, et plusieurs chevaliers et écuyers de Honguerie en sa compagnie ; et apportoient lettres de créance, et venoient querre leur seigneur le frère du roi, Louis de France, à ce jour comte de Valois, pour l’emmener en Honguerie à sa femme, laquelle par procuration, messire Jean la Personne, un chevalier de France, avoit épousée. Ces nouvelles plurent grandement bien au roi de France et au duc de Bourgogne ; et fut regardé adonc que