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LIVRE II.

car la ville de l’Escluse et les appendances, parmi les avenues de la mer, est un moult bel et grand et profitable héritage ; et si étoit venu à ceux de Namur par partage de frères ; car le comte Guy de Flandre et le comte Jean de Namur avoient été deux frères ; si en aimoit mieux la terre messire Guillaume de Namur. Nonobstant tout ce, puisque le duc de Bourgogne l’avoit enchargé, il convenoit qu’il le fît ; et étoit l’intention du duc, mais que il en fût sire, et de son conseil, que il feroit là faire l’un des forts chastels et des beaux du monde, ainsi comme il y a à Calais, à Chierbourch, où à Harrefleu, pour maistrier la mer et les allans et venans et entrans au hâvre de l’Escluse, et en issant aussi et courant parmi la mer ; et le feroit toujours bien garder de gens d’armes et d’arbalêtriers, de barges et de baleniers, ni nul n’iroit ni ne courroit par mer que ce ne fût par leurs congé, si ils n’étoient plus forts d’eux : et seroit fait si haut que pour voir vingt lieues en la mer. Tant fut messire Guillaume de Namur mené et prié du duc et de son conseil qu’il s’accorda à ce ; et faire lui convenoit, autrement il eût eu le mautalent du duc, que il rendit et hérita le duc de Bourgogne de la terre de l’Escluse et de toute la seigneurie. Et le duc lui rendit en ce lieu toute la terre de Béthune qui est un des beaux et grands héritages du pays, pour lui et ses hoirs. Ainsi fut fait l’échange de ces deux terres. Et tantôt le duc de Bourgogne mit ouvriers en œuvre ; et fut commencé à édifier le chastel de l’Escluse.


CHAPITRE CCXXXII.


Comment François Acreman abandonna le Dam, et le roi de France le conquit ; et comment il défit son armée et retourna en France.


Nous parlerons du siége du Dam et conterons comment il se persévéra. Presque tous les jours y avoit assaut, ou de jour à autre ; et entre les assauts il y avoit aussi aux portes et aux barrières escarmouches, et moult de gens morts et blessés. Et ne pouvoit-on aisément avenir aux murs de la ville, pour les fossés qui étoient pleins de bourbe et d’ordure. Et s’il eût fait un temps pluvieux, ceux de l’ost eussent eu fort à faire, et les eût convenu déloger, voulsissent ou non. Mais un mois ou environ que le siége fut là devant, oncques ne plut, mais faisoit bel, chaud et sec ; et avoient en l’ost assez largement de tous vivres ; et pour la puantise des bêtes que on tuoit en l’ost et des chevaux qui y mouroient, l’air en étoit ainsi que à demi corrompu, dont moult de chevaliers et écuyers furent malades ; et s’en alloient les aucuns rafreschir à Bruges. Et vint le roi loger, telle fois fut, à Male, pour éloigner ce mauvais air : mais toujours étoient ses tentes et ses pavillons tendus sur les champs. L’intention de François Acreman étoit telle, que il tiendroit là le roi si longuement que secours d’Angleterre lui viendroit pour lever le siége ; et il est certain que sur cel espoir se tenoit-il dedans le Dam, et avoit envoyé en Angleterre quérir confort et secours. Et y fussent venus les oncles du roi, il n’est nulle doute, forts assez à leur avis de gens d’armes et d’archers pour combattre le roi et les François, si l’amiral de France et sa charge de gens d’armes ne fût en Escosse. Mais ce que les seigneurs d’Angleterre sentoient les François au royaume d’Escosse, et leur disoit-on encore que le connétable de France atout grands gens d’armes venoit par mer en Angleterre, les détria à non venir en Flandre ; et n’en furent point confortés ceux du Dam : dont il leur convint faire un mauvais marché.

Le vingt septième jour d’août, l’an dessus dit, fut la ville du Dam reprise du roi de France et des François : je vous dirai par quelle manière. Quand François Acreman ot là tenu le roi de France à siége environ un mois, et que il vit que artillerie leur failloit en la ville, et que nul secours ne leur apparoit de nul côté, si se commença à esbahir, et dit à ceux de son conseil, le jour au soir dont il se partit la nuit : « Je veuil que entre nous de Gand nous en allons notre chemin à mie-nuit arrière en notre ville ; et le dites aussi l’un à l’autre, et tout ce soit tenu en secret ; car si les hommes de celle ville savoient que nous les voulsissions laisser, ils feroient, pour eux sauver, et leurs femmes, et leurs enfans, et le leur, aucun traité mauvais pour nous au roi de France, et nous rendroient, parmi tant que ils demeureroient en paix ; et nous serions tous morts. Mais je les en garderai bien ; nous nous tenrons tous ensemble et irons autour de la ville voir le guet ; et mettrons hommes et femmes ens ou moûtier, et leur dirons que nous les mettons là pour la cause de ce que à lendemain nous devons avoir l’assaut ; et dirons à ceux du guet, à mie-nuit, quand je ferai ouvrir la porte, que nous allons hors pour réveiller l’ost. Quand nous