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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/35

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[1378]
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LIVRE II.

Après le conquêt du châtel de Conches qui se rendit par traité, comme vous avez ouï, on s’en vint devant Pascy et là eut assaut, et y eut des navrés d’une part et d’autre. Au second jour ils se rendirent, et demeura le châtel au roi de France ; et puis chevauchèrent outre et reconquirent finablement tout ce que le roi de Navarre avoit tenu en Normandie, excepté Évreux et Chierbourch. Et quand ils eurent tout reconquis, châteaux et petits forts, et que tout le pays fut en leur obéissance, ils s’en vinrent mettre le siége devant Évreux. Là a cité, bourg et châtel, tout séparé l’un de l’autre ; et sont et ont toujours été par usage les plus forts Navarrois de Normandie ; ni n’aimèrent oncques ceux d’Évreux parfaitement autre seigneur que le roi de Navarre. Si fut Évreux assiégé moult puissamment ; et se tint là le siége longuement ; car Ferrando en étoit capitaine, qui y fit de sa main plusieurs grands appertises d’armes[1].

En ce temps étoit retourné le roi de Navarre en son pays, et cuidoit autrement avoir été aidé des Anglois qu’il ne fut, quoique les Anglois n’y eussent point de coulpe, ainsi qu’il apparut ; car le duc de Lancastre et le comte de Cantebruge, devant tous ces traités, avoient eu vent contraire pour venir en Normandie ; et aussi un si grand mandement que ils avoient fait de quatre mille hommes d’armes et huit mille archers ne furent pas sitôt arrivés à Hantonne, où tous montèrent en leurs nefs chargées de pourvéances : pourquoi il fut ainçois la Saint-Jean-Baptiste que tous ensemble, ainsi que gens d’armes se doivent départir, ils se départissent d’Angleterre. Et encore, quand ils se départirent des hâvres d’Angleterre, ils trouvèrent à Pleumoude[2] le comte de Salebry et messire Jean d’Arondel, qui s’en devoient aller en Bretagne pour rafraîchir ceux de Brest et de Hainebon qui n’avoient pu avoir vent : et se mirent ces deux seigneurs en l’armée du duc de Lancastre et de son frère le comte de Cantebruge ; mais ils prirent l’île de Wisque et là séjournèrent un grand temps pour apprendre des nouvelles et où ils se trairoient, ou en Normandie, ou en Bretagne. Et là ouïrent nouvelles que l’armée de France étoit sur mer : si fut renvoyé messire Jean Arondel, atout deux cents hommes d’armes et quatre cents archers, à Hantonne pour eschever les périls qui leur pouvoient venir trop grands par mer.


CHAPITRE XXVIII.


Comment l’emprise du siége de Bordeaux fut rompue par le mandement du roi de France ; et du siége mis devant Bayonne par le roi de Castille ; et comment le duc de Lancastre assiégea la ville de Saint-Malo de l’Isle.


Pour la cause de ce que le roi de France étoit véritablement informé de par les Normands que les Anglois étoit trop puissamment sur mer et ne savoient où ils vouloient aller, avoit-il fait par tout son royaume un espécial commandement que chacun fut appareillé, chevaliers et écuyers, ainsi comme à eux appartenoit, pour venir ou aller là où il les manderoit : aussi le duc d’Anjou toute celle saison[3] avoit retenu gens d’armes de tous côtés en intention de mettre le siége devant Bordeaux ; et avoit son frère le duc de Berry et le connétable de France en sa compagnie, et toute la fleur de la chevalerie de Gascogne, d’Auvergne, de Poitou et de Limousin. Et pour cette emprise traire à bon chef et pour avoir plus grand’quantité de gens d’armes, par le consentement du roi de France son frère, il avoit en Languedoc cueilli une aide si grande et si grosse qu’elle avoit bien monté à deux cent mille francs. Et ne put en cette saison le duc d’Anjou faire son emprise ; car le roi de France redemanda le duc de Berry son frère et le connétable de France et tous les barons dont il pensoit être aidé et servi ; car bien étoit signifié que les Anglois étoient sur mer ; mais il ne savoit où ils vouloient traire. Et quoique cette emprise du Languedoc se rompit, les povres gens qui avoient été travaillés de payer si grande somme, je vous sais bien à dire que ils ne r’eurent mie leurs deniers.

En ce temps tenoit siége, à bien vingt mille

    aussi que Ferrando commandait dans Évreux pour le roi de Navarre, mais il ne s’accorde pas avec les circonstances du siège de cette ville.

  1. D’Oronville dit que Ferrando n’osa pas attendre les généraux de Charles V, et qu’il s’enfuit à Gaurai, où étaient les trésors du roi de Navarre.
  2. Plymouth.
  3. Vers la fin de juillet 1378, le duc d’Anjou partit de Toulouse pour aller faire la guerre en Guyenne. Il passa à Moissac le 26 juillet, et il arriva à La Réole le 15 du mois d’août : le 19 du même mois, il avait déjà commencé le siége de Bazas ; il arriva des parties de Bordeaux à Toulouse le 6 octobre.