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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/34

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[1378]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et toujours leur venoient gens de tous côtés que le roi de France leur envoyoit. Évreux est une cité belle et forte qui pour ce temps se tenoit au roi de Navarre ; car elle est de la comté d’Évreux[1]. Ceux d’Évreux qui se véoient et clos et assiégés de leurs voisins qui leur promettoient que, si de force ils se faisoient prendre, ils seroient sans remède tous perdus, hommes et femmes et enfans, et la ville repeuplée d’autres gens, se doutoient grandement, car confort nul ne leur apparoît de nul côté. Et véoient, si voir vouloient, leur jeune héritier Charles de Navarre auquel l’héritage de la comté d’Évreux devoit appartenir de par madame sa mère[2] et la succession de lui ; et oyoient par ces deux seigneurs, le sire de Coucy et le sire de la Rivière, qui bien étoient enlangagés et qui bel leur remontroient, les incidences où ils pouvoient encheoir. Et aussi l’évêque du lieu s’inclinoit de la partie du roi de France. Si s’avisèrent, tout considéré, que mieux leur valoit rendre leur cité en amour, puisque requis de leur seigneur en étoient, que de demeurer en péril. Si prirent ceux d’Évreux une trêve à durer trois jours, et en cette trêve ceux d’Évreux pouvoient bien paisiblement venir en l’ost et ceux de l’ost en Évreux. En ces trois jours furent les traités si bien ordonnés et accordés, que le sire de Coucy et le sire de la Rivière entrèrent en la cité et en prirent la possession par le roi de France, comme commissaires authentiques là envoyés et procureurs généraux pour l’infant de Navarre qui présent étoit à tous ces traités ; et renouvelèrent ces deux seigneurs toute manière d’officiers ; et quand ils s’en partirent, pour la doute des rebellions, ils y établirent de bonnes gens d’armes ; et puis s’en partirent et vinrent mettre le siége devant Karentan, une belle ville et fort châtel séant sur mer et sur les marches de Caen. Ceux de Karentan n’avoient point de capitaine de nom, ni eu depuis la mort de messire Eustache d’Aubrecicourt qui là mourut et qui leur capitaine avoit été bien quatre ans ; et ne se véoient mie conseillés et confortés de nullui fors que de eux-mêmes ; et sentoient sur mer l’admirault de France messire Jean de Vienne et l’admiral d’Espaigne avecques lui gisant à l’ancre atout grands gens devant Chierbourch, et ne savoient nuls des traités du roi de Navarre, ni quel chose il avoit exploité en Angleterre ; et étoient tous les jours assaillis par deux manières, l’une par armes et l’autre par paroles, car le sire de Coucy et le sire de la Rivière soignoient grandement que ils eussent Karentan ; et tant enseignèrent que par traité ils l’eurent ; et se mirent et rendirent en l’obéissance du roi de France, réservé pour le temps à venir le droit que le jeune héritier messire Charles de Navarre y pouvoit avoir.

À tous traités ces seigneurs de France s’inclinoient, pour eux délivrer d’être en saisine et en possession des villes et châteaux que ils désiroient à avoir. Si prirent Karentan, ville et châtel, et le rafraîchirent de nouvelles gens, et puis s’en partirent et vinrent devant le châtel de Moulineaux ; et n’y furent que trois jours quand par traités ils l’eurent : et puis vinrent devant Conches : si se logèrent sur cette belle rivière de Orne qui court à Kaen, et se rafraîchirent jusques à tant qu’ils sçurent la volonté de ceux de Conches, lesquels par traités se rendirent ; car ce que le sire de Coucy et le sire de la Rivière avoient l’infant de Navarre avecques eux embellissoit grandement leur fait ; et aussi, en ces forteresses navarroises, avoit peu de gens du royaume de Navarre, et ce qu’il y avoit n’étoient mie seigneurs des villes, ni des châteaux ni des traités : mais quand on se rendoit au roi de France ou à ses commis, ils étoient au traité par condition telle que ils se départoient si ils vouloient et alloient là où il leur plaisoit. Tous ceux qui s’en partoient ne se tiroient autre part que en Évreux[3] dont Ferrando, un Navarrois, étoit capitaine.

    avril 1378, ce qui prouve que cette ville était déjà rendue au roi de France ; et dans le recueil des pièces servant de preuves aux mémoires de M. Secousse, on voit sept lettres de rémission faisant mention de la reddition d’Évreux, et qui, n’étant datées que du 11 mai, donnent lieu de croire qu’Évreux n’a été rendu que postérieurement à Avranches.

  1. S’il s’agissait ici d’Évreux, il était inutile de dire que cette ville se tenait pour ce temps au roi de Navarre, et qu’elle était de la comté d’Évreux, car Évreux était depuis long-temps le patrimoine des rois de Navarre de la maison d’Évreux, et le chef-lieu du comté de ce nom. Avranches a pu être considéré comme une annexe du comté d’Évreux.
  2. On a déjà eu lieu de remarquer que le comté d’Évreux appartenait au roi de Navarre comme un héritage de ses pères et non pas du chef de la reine Jeanne sa femme.
  3. D’Oronville, dans la vie du duc de Bourbon, dit