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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

pagnie de messire Gautier de Passac vint là le sénéchal de Nebosem, lequel est et répond au comte de Foix ; mais messire Gautier le manda que il venist là avecques lui pour aider à faire vider les ennemis du pays, car autant bien couroient-ils en la sénéchaussée de Nebosem, quand il leur venoit à point, comme ils faisoient ailleurs ; et ce fut la raison pourquoi le sénéchal de Nebosem vint adonc servir messire Gautier ; et encore fut signifié au comte de Foix qui le consentit ; autrement ne l’eût-il point osé faire.

On fut devant le Dos-Julien quinze jours avant que on le pût avoir, car il y avoit fort chastel assez et capitaine de grand’emprise, un écuyer gascon qui s’appeloit Bernier de Brunemote, appert homme d’armes durement, et étoit issu de Lourdes, quand on vint prendre le dit chastel. Toutefois on ne l’eut pas par assaut, mais par traité ; et s’en partirent ceux qui le tenoient, sauves leurs vies et le leur, et encore furent-ils sauvement conduits jusques à Lourdes ; et les conduisit un écuyer qui s’appeloit Bertran de Mondigeon.

Quand les seigneurs de France eurent le Dos-Julien, ils se conseillèrent quelle chose ils en feroient : si ils le tiendroient ou si l’abattroient. Conseillé fut pour le mieux que il seroit abattu, pour la cause de ceux de Lourdes qui leur sont trop près. Si pourroit avenir que quand les seigneurs seroient partis, ils le viendroient prendre et embler de rechef. Lors fut-il commandé à abattre et arraser ; et le fut tellement que encore sont là les pierres en un mont, et n’espère-t-on pas qu’on le refasse jamais : ainsi alla du Dos-Julien.

Après s’en vinrent-ils devant Navaret, un fort aussi que compagnons aventuriers, qui étoient issus de Lourdes, avoient tenu plus d’un an et demi. Mais quand ils entendirent que ceux du Dos-Julien étoient partis, ils se départirent aussi et emportèrent ce que ils purent, et s’en vinrent bouter en Lourdes. Là étoient leur retour et leur garant ; car bien savoient que on ne les iroit là point quérir qui ne voudroit perdre sa peine, car Lourdes est un chastel impossible à prendre.

Or prindrent ceux seigneurs leur retour, quand ils orent fait abattre et arraser le Dos-Julien, vers le fort de Navaret ; si le trouvèrent tout vuit. Adonc fut ordonné que il seroit abattu ; aussi le fut-il, dont ceux de Tharbe ne furent pas courroucés, car ceux qui l’avoient tenu leur avoient porté trop de dommages et de contraires.

Après ce on vint devant le chastel d’Aust en Bigorre, qui siéd entre les montagnes et sus les frontières de Béarn. Là fut-on environ quinze jours, et leur livra-t-on maint assaut. On conquêta la basse-cour et tous leurs chevaux ; mais une grosse tour séant sur une roche assez haute ne put-on conquerre, car elle n’est pas à prendre.

Quand les seigneurs virent que ils perdoient leur peine, et que Guillon de Merentan qui tenoit le fort ne vouloit entendre à nul traité, ni vendre, ni rendre le fort, ils se départirent et s’en retournèrent à Tharbe ; et là donna congé messire Gauthier de Passac à toutes gens d’armes de retraire et de aller chacun en son lieu ; et furent payés de leurs gages, ou bien assignés à leur plaisance ceux qui l’avoient servi en celle armée ; et lui-même s’en partit aussi et s’en vint rafreschir à Carcassonne et là environ.

Endementres que il séjournoit là, lui vinrent nouvelles de France et commandement de par le roi que il se trait devers la garnison de Bouteville en Xaintonges, sur les frontières de Bordelois et de Poitou, laquelle garnison Guillaume de Sainte-Foix, Gascon, tenoit. Et avoit-on entendu en France que messire Jean Harpedane, sénéchal de Bordeaux, faisoit son amas de gens d’armes à Lieborne sus la Dordogne pour venir lever les bastides que les Poitevins et ceux de Xaintonge tenoient et avoient mis devant. Au commandement du roi et de ses souverains obéit messire Gautier, ce fut raison ; et prit sa charge de soixante lances et de cent arbalêtriers gennevois, et se partit de la bonne ville de Carcassonne, et passa parmi Rouergue et Agen, et costia Pieregorth, et s’en vint à Bouteville ; et là trouva les sénéchaux, celui de la Rochelle, celui de Poitou, celui de Pieregorth et celui d’Agen et grand’foison de bonnes gens d’armes.

On se pourroit bien émerveiller, en pays lointain et étrange du noble royaume de France, comment il est situé, et habitué de cités, de villes et de chastels si très grand’foison que sans nombre ; car autant bien ens ès lointaines marches en y a grand’plenté et de forts comme il y a ens ou droit cuer de France. Vous trouverez en allant de la cité de Toulouse à la cité de Bordeaux les chastels que je vous mommerai,