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LIVRE III.

conquis et gagné, excepté un fort chastel séant en mer, que on dit Courch[1] et le tiennent les Gennevois, pourtant que le chastel leur est une clef et une issue et entrée par mer en allant en Alexandrie et en la terre du soudan ; car partout vont Gennevois et Vénitiens marchander, parmi les treus que ils payent, jusques en la grande Inde, la terre au prêtre Jean[2] ; et partout sont-ils bien-venus pour l’or et l’argent qu’ils portent ou pour les marchandises que ils échangent en Alexandrie, au Caire, à Damas ou ailleurs, qui besognent aux Sarrasins ; car ainsi faut-il que le monde se gouverne, car ce qui point n’est en un pays est en l’autre ; parmi tant sont connues toutes choses. Et ceux qui vont le plus loin et qui le plus s’aventurent sont Gennevois ; et vous dis que ils sont par-dessus les Vénitiens seigneurs des ports et des mers, et les crèment plus et doutent les Sarrasins que nuls autres, car par mer ce sont vaillans hommes et de grand fait ; et oseroit bien envahir et assaillir une galée de Gennevois armée quatre galées de

    Pur l’onur et reverence de nostre seigneur Dieux,

    Et pur eschuir l’effusion du sank cristien, et les très grandes mals et damages que, pur l’occasion des guerres entre nous et nostre adversaire de France, sont avenuz, avant ces heures, a toute cristientee, et verraissemblablement porront avenir, de jour en autre, si la dite guerre soit continue,

    Desirantz auxi nous justifier et nostre querele devant Dieux et tout le mond, et nos souzgis mettre, quanque en nous est, en pees, quiete, et tranquilite,

    Et auxi a les instanz prieres et requestes, qui nous ont este faites par nostre cousyn, le roi d’Arménye, q’il nous plerroit condescender et encliner au bone tretee de pees ovesque nostre dit adversaire, et ordeigner de par nous aucunes parsones notables pur assembler ovesque les gentz que mesme nostre adversaire envoieroit, de semblable estat, as certeines jours et lieu, as marches de Caleys, pur le faite de tretee sus-dite,

    Confiantz au pleine de les loialtee, sens, avisamentz, et discretions de nos tres chiere et foialx, l’onurable piere en Dieu l’evesque de Coventre et Lychfeld : Michel comte de Southfolk nostre chancelier : William de Beauchamp nostre cosyn, capitaine de notre ville de Caleys : Hugh de Segrave, et Johan d’Évereux, banerettz : Johan Clanbowe chivaler de nostre chaumbre ; et nostre bien ame clerc meistre Richard Rouhale, doctour en leys ;

    Les avons constituez, ordeinez, deputez, et establiz, constituons, ordeignons, deputons, establions, de nostre certeine science, par cestes noz presentes lettres, nos vrais et especialx messages, commissairs et deputes pur le fait de tretee de pees suis-dite, etc.

    Le 13 février suivant fut publié l’acte qui suit rapporté par Rymer, et qui prouve la reconnaissance du gouvernement anglais pour les bons soins du roi d’Arménie.

    V. Pro Leone rege Ermeniæ, de annuitate concessa.

    Rex omnibus ad quos, etc. Salutem :

    Sciatis quod

    Ob reverentiam Dei, et sublimis status illustris principis et consanguinei nostri carissimi, Leonis regis Ermeniæ, qui regali diademate decoratur,

    Considerantes quod idem consanguineus noster, ex tolerantia Summi Regis, a regno suo, per dei inimicos atque suos, mirabiliter est expulsus,

    Volentesque sibi in aliquo, ex hac causa, prout statui nostro competit, subvenire,

    Concessimus eidem consanguineo nostro mille libras monetæ nostræ Angliæ, percipiendas singulis annis, ad receptam Scaccarii nostri per æquales portiones, quousque, cum Dei adjutorio, recuperare poterit regnum suum supradictum ;

    Si quis vero contra hanc concessionem nostram quidquid fecerit vel attemptaverit, aut eisdem contravenerit, maledictionem Dei, et sancti Edwardi, atque nostram se noverit incursurum.

    In cujus, etc.

    Teste rege apud castrum regis de Windesor, tertio dei februarii.

    Per ipsum regem.

    Léon VI, roi d’Arménie, à son retour d’Angleterre, fixa sa résidence à Paris où il mourut, le 29 novembre 1393, au palais des Tournelles, rue Saint Antoine, en face de l’hôtel Saint-Pol, où le roi résidait ordinairement : il fut enterré dans l’église des Célestins. Suivant l’usage de son pays, tous les assistans étaient habillés en blanc. Son tombeau se voyait encore il y a peu de temps au Musée des Petits-Augustins. Il a été depuis transporté à Saint-Denis.

  1. Il me semble assez probable que Froissart aura voulu désigner par ce mot la forteresse de Gorhigos, ville de Cilicie, appelée par les anciens Corycus, du nom d’une montagne qui se trouvait dans son voisinage et formait un promontoire qui s’avançait vers l’île de Chypre : elle est située au sud-ouest de Tarse sur le bord de la mer. Gorhigos formait une principauté dépendante des souverains arméniens. Le dernier des princes qui la possédèrent fut ce même Schahan, gendre de Léon VI de Lusignan, dont j’ai parlé dans la note ci-dessus. Schahan, prince de Gorhigos, fut pris avec son beau-père, comme on l’a vu, en 1375 dans la forteresse de Gaban et emmené en captivité au Caire, où il mourut.
  2. On désigne sous le nom de Prêtre Jean, Presbyter Johannes, dans les relations du moyen-âge, un souverain du centre de l’Asie, qu’on supposait non-seulement converti au christianisme, mais élevé au sacerdoce. L’opinion la plus commune est que les missionnaires nestoriens, exagérant leurs succès en Tartarie, ont appelé Prêtre Jean le prince Wang de la nation des Kéraïtes, chez laquelle il y avait alors beaucoup de chrétiens syriens. Le nom de Wang a pu être pris pour celui de Jean mal prononcé ; et quant à la prêtrise, il n’y a rien d’impossible à ce qu’il l’eût reçue des Syriens. Plus tard ou a cherché le pays du Prêtre Jean dans l’Abyssinie ; il n’y était pas plus qu’ailleurs. Il n’est pas de sujet sur lequel on ait débité autant de fables.