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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

en sont cause et coulpe. » — « Et pourquoi ? » dit le duc. « Je le yous dirai, répondit l’escuyer. Quand les Casteloings virent que le roi Ferrant ot marié sa fille à leur seigneur, le roi de Castille, il leur sembla que il avoit acheté la paix à eux, et qu’il les doutoit : si s’en orgueillirent grandement et en commencèrent à tenir leurs ramposnes et leurs gros mots, lesquels les Portingalois oyoient trop envis ; car ils disoient ainsi en leur langage : « Or, entre vous de Portugal, tristes gens, rudes comme bêtes, le temps est venu que nous aurons bon marché de vous. Ce que vous avez est et sera nôtre. Nous vous mettrons par tasseaux et par troupeaux, si comme nous faisons les Juifs qui demeurent par treu dessous nous. Vous serez nos subgiets. À ce ne pouvez-vous contredire ni reculer, puisque notre sire, le roi de Castille, sera votre roi. »

« De telles paroles et d’autres aussi felles et vénimeuses étoient servis et appelés souvent les Portingalois des Espaignols quand ils les trouvoient, et proprement le roi Ferrant vivant. Donc les Portingalois accueillirent les Castelloings en tel haine, que quand le roi Ferrant ot marié sa fille au roi de Castille et il fut chu en maladie et en langour qui lui dura plus d’un an entier, ès cités et bonnes villes de Portingal, les hommes murmuroient ensemble et disoient : « Il vaut mieux mourir que d’être au danger ni en la subjection des Castelloings. » Et lorsque le roi Ferrant fut mort, qui fut ensépulturé en l’église des frères religieux de Saint-François, en la cité de Lussebonne, les cités et bonnes villes et chastels du royaume de Portingal se clorrent. Et fut mandé à Lussebonne le roi qui est à présent des Lussebonnois, lesquels savoient bien l’intention et courage des trois autres cités de Portingal, c’est à entendre de ceux du Port, de ceux de Connimbres et de ceux de la ville et cité d’Evres, et lui dirent : « Maître de Vis, nous vous voulons faire roi de ce pays, jà soyez-vous bâtard ; mais nous disons que madame Bietrix, votre cousine, la roine de Castille, est plus née en bâtardie que vous ne êtes. Car encore vit le premier mari madame Aliénor, nommé messire Jean Laurent de Congne, Et puisque la chose est advenue ainsi, que la couronne de Portingal est chue en deux membres, nous prendrons le plus profitable pour nous. Et aussi la plus saine partie s’incline que nous vous fassions roi ; car jà à femme la couronne de Portingal n’ira, ni jà en la subjection du roi de Castille ni des Castelloings nous ne serons. Si avons plus cher que vous preniez tout le nôtre, pour nous aider à garder et tenir en droit nos franchises, que ceux de Castille en soient maîtres ni seigneurs. Si recevez ce don et la couronne de Portingal, car nous voulons qu’il soit ainsi. »

« Le maître de Vis, monseigneur, qui est roi à présent, ne prit pas ni ne reçut ce don à la première fois ni à la seconde requête des communautés de Lussebonne, et répondit : « Bonnes gens, je sais bien que de bonne volonté et par grand’affection que vous avez à moi, vous me offrez la couronne et seigneurie de Portingal qui est grand’chose ; et si dites, et aussi fais-je, que je y ai grand droit, ou plus que ma cousine, la roine de Castille, la fille Aliénor de Congne ; car voir est que elle est bâtarde : encore vit son mari qui est en Castille. Mais il y a un point ; vous ne pouvez pas, tous seuls et singuliers, mettre sus ce fait ni celle besogne. Il faut que les nobles de ce royaume, tous ou en partie, s’y accordent. » — « Ha ! répondirent ceux de Lussebonne, nous en aurons assez ; car jà savons-nous les courages de plusieurs qui se sont découverts à nous, et aussi de trois cités de ce royaume qui y sont les principales avecques nous, Evres, Connimbres et le Port de Portingal. » Adonc répondit le roi qui est à présent, et dit : « Or, soit ainsi ; je vueil ce que vous voulez. Vous savez comment madame Aliénor, qui se dit et est dite roine de ce pays, est encore en celle ville et a avecques li son conseiller messire Jean Ferrant Andère, qui veut garder la couronne et l’héritage de Portingal à la roine de Castille, et sera pour li en tous états ; car il la maria au roi de Castille et la démaria du fils du comte de Cantebruge pour faire la paix de Portingal. Et a mandé espoir ou mandera le roi de Castille que il vienne hâtivement fort assez pour combattre et soumettre tous ses rebelles ; et jà en a Jean Ferrant Andère fait fait et partie, si comme vous savez, et fera encore plus pleinement au jour de l’obsèque de monseigneur mon frère le roi, lequel on fera prochainement en celle ville, où tous les nobles ou partie, s’ils ne s’excusent, de ce pays seront. Si faut pourvoir et aviser selon ce. »

« Donc répondirent cils qui en la présence de