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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

de prisonniers. Et vous dis que, si ils voulsissent, ils s’en fussent bien rentrés en Castille sans avoir rencontre ; mais ils furent grands et orgueilleux et distrent que ils venoient voir la garnison de Trencouse. Tous ceux du plat pays fuyoient devant eux, et tant que les nouvelles en vinrent en Trencouse. Quand messire Jean Ferrant Perceck entendit que les Castelloings chevauchoient, si demanda ses armes et fit sonner ses trompettes, et réveiller chevaliers et écuyers parmi la ville. Tous s’armèrent en grand’hâte et montèrent aux chevaux, et issirent hors de Trencouse et se trouvèrent sur les champs environ deux cents. Si se mirent en bonne ordonnance, et montrèrent bien que ils avoient grand’affection de trouver leurs ennemis ; et demandèrent aux fuyans qui affuyoient à sauveté à Trencouse, où leurs ennemis étoient et où ils les trouveroient. Ils répondirent que ils n’étoient point loin et que ils ne chevauchoient que le pas, car ils ne pouvoient tôt aller, pour la grand’proie que ils menoient. De ces nouvelles fut messire Jean Ferrant Perceck tout réjoui, et dit à ses compagnons, à messire Martin Vas de Congne et à Guillaume Vas de Gongne, son frère : « Avançons-nous, je ne vueil jamais rentrer en ville ni en chastel qui soit en Portingal, si aurai vu nos ennemis et combattu à eux ; et me mettrai en peine de rescourre la proie. » Et puis me dit ; « Laurentien, développez ma bannière, car il est heure ; nous trouverons tantôt les ennemis. » Lors fis ce que il me commanda ; et chevauchâmes les bons galops, et tant que nous vîmes devant nous les pouldrières[1] de nos ennemis. Lors prîmes-nous l’avantage du soleil, et chevauchâmes et vînmes à eux.

« Quand les Castelloings nous aperçurent, si se tinrent tous cois et se remirent ensemble, et ordonnèrent leur proie et leurs prisonniers tous d’un côté. Nous les approchâmes de si près que bien poièmes parler à eux, et eux à nous. Si vîmes trois bannières et quatre pennons ; et bien étoient par avis en flotte environ trois cents, et tous bien montés. Les bannières je vous nommerai. Tout premier messire Jean Raddigoz de Castegnas[2], chevalier et baron en Castille, messire Alve Gresie d’Albenes[3] et messire Adyoutale de Thoulete[4]. Les pennons, messire Pierre Souase de Thoulete[5], messire Adyoutale de Casele[6], messire Jean Radigos de Vere[7] et Dyocenes de Thore[8].

« Quand nous fûmes l’un devant l’autre, nous mîmes pied à terre et aussi firent eux ; et furent chevaux baillés aux pages et aux varlets. Et avant que nous assemblissions de lances, de dardes, ni d’armes à eux, ni eux à nous, nous eûmes grand parlement, voire les capitaines de l’une part et de l’autre, car, moi qui fus présent, oy toutes les paroles, pourtant que mon maître, messire Jean Ferrant Perceck de qui je portois la bannière, étoit au devant d’eux et à lui étoient adressés les parlemens. Tout premier il leur demanda qui les faisoit chevaucher en Portingal, ni lever leur proie. Messire Adyoutale de Thoulete répondit ainsi et dit : qu’ils y pouvoient bien chevaucher ainsi comme ils vouloient, pour punir les désobéissans, car il leur étoit commandé de leur seigneur le roi de Castille, auquel l’héritage de Portingal appartenoit ; et pourtant qu’ils y avoient trouvé rebelles et désobéissans, ils avoient couru au pays et levé proie et enmenoient prisonniers. » — « Vous ne les menerez pas trop loin, répondit Jean Ferrant Perceck, ni la proie aussi ; car nous les vous calengerons, ni nul droit vous n’avez en ce pays de venir courir. Ne savez-vous pas que nous avons roi, lequel veut tenir en droit son royaume et garder justice et punir les larrons et pillards. Si vous disons de par lui, que tout ce que vous avez pris et levé au royaume de Portingal vous remettez

  1. Tourbillons de poussière.
  2. Joao Rodriguez de Castanheda.
  3. Alvaro Garcia de Albornoz.
  4. Adiantado de Toledo.
  5. Pedro Soarez de Toledo.
  6. Adiantado de Caçorla.
  7. Joao Rodriguez Pereira.
  8. Probablement Diego Eanes de Tavora. Je trouve, dans la chronique de Duarte de Liao, un Pedro Lourenço de Tavora. C’est peut-être un parent de celui mentionné par Froissart. Quant aux premiers noms, ils sont tous mentionnés, comme je les ai écrits, par Duarte, dans sa description de l’engagement de Trancoso. Si quelque chose, au reste, doit nous étonner, ce n’est pas de voir Froissart défigurer des noms qui lui étaient étrangers, c’est au contraire de voir que, malgré la difficulté extrême de se procurer alors de tels renseignemens, il est presque toujours exact sur le matériel des faits et sur la forme générale des noms ; ce qui m’aide à en redresser l’orthographe, c’est que les prénoms qu’il donne aux personnages cités sont constamment exacts, à un petit nombre d’exceptions près. Froissart gagne beaucoup à être comparé avec les chroniqueurs de la même époque.