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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/501

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LIVRE III.

Quand le Barrois des Barres et Jean de Chastel Morant et les chevaliers et écuyers qui ens ou chastel de la Calogne se étoient tenus pour la garde, entendirent que le duc et la duchesse étoient paisiblement entrés en la ville de Saint-Jacques et qu’on les y avoit reçus, si parlèrent ensemble et se conseillèrent quelle chose ils feroient, et dirent : « Il ne nous vaut rien ici demourer ni tenir ; nous n’y arièmes jamais nulle bonne aventure ; retrayons-nous à Burges devers le roi ; si saurons quelle chose il voudra faire. Il ne peut être que il ne voist au devant de ces Anglois ; car si il les laisse convenir ainsi, ni eux loger ni amasser au pays, petit à petit ils le conquerront et seront seigneurs de Castille : et nous est plus honorable assez de là aller que de ci être. »

Ce conseil fut tenu : si s’ordonnèrent pour partir, et troussèrent tout, et issirent hors du chastel de la Calongne, et le recommandèrent à ceux que ils y avoient trouvés quand ils y entrèrent ; et prirent guides qui connoissoient le pays : bien le convenoit, autrement ils eussent été rencontrés. Si firent tant et chevauchèrent parmi le pays de Biscaye et costiant la Galice que ils vinrent au Lyon en Espagne. Pour ces jours y étoient le roi et la roine, et toutes les gens de son hôtel. Quand ces chevaliers de France furent venus devers le roi, il les vit volontiers, ce fut raison. Si les reçut doucement et leur demanda des nouvelles, quoique il en savoit assez. Ils en dirent ce qu’ils en savoient et comment à peine ils vinrent à la Calongne, tout ainsi que les Anglois entroient au havre : encore trouvèrent-ils sept gallées que vaisseaux de Biscaye chargés de vins, lesquels les Anglois orent à leur profit et les marchands orent tantôt tout vendu. Dit le roi : « Ainsi va de guerre ; ils n’étoient pas sages ni bien conseillés, quand ils sentoient l’armée d’Angleterre sur mer, que ils n’alloient quelque part ailleurs. » — « En nom Dieu, sire, répondirent les chevaliers, ils étoient là traits à sauveté ; car les vins et marchandises que ils menoient, ils dirent que ils avoient cargé pour mener en Flandre ; et avoient bien ouï dire, par maronniers de Saint-Andrieu, que les Anglois étoient sur mer et sur les bandes de Biscaye ; mais ils cuidoient, pourtant que renommée court, et voir est, que le roi de Portingal leur a envoyé gallées et gros vaisseaux, que ils dussent prendre le chemin du Port de Portingal ou de Lussebonne ; mais ils ont fait tout le contraire, si comme appert, car par la Calongne sont entrés en Gallice. »

Donc dit le roi : « Et entre vous, chevaliers de France, qui connoissez les armes et qui savez que c’est de chevaucher et ostoier plus que ne font les gens de ce pays, car plus vous les avez hantées et usées, que pouvez-vous supposer ni imaginer des Anglois, ni comment se porteront-ils celle saison ? » — « Par ma foi, répondirent aucuns, et chacun par lui, sire, malement pouvons-nous savoir, car les Anglois sont couverts, quelle chose ils feront ni où ils se trairont, fors que par supposition. Nous supposons ainsi, que le duc de Lancastre se tiendra tout cel hiver qui approche en la ville de Saint-Jacques, et ses gens là environ, et courront le pays de Galice, et conquerront petits forts et rançonneront aux vivres et aux pourvéances ; et endementres que cil temps passera et que l’été retournera, s’entameront et feront traités entre le duc de Lancastre et le roi de Portingal, et se concorderont et aideront, et allieront ensemble, si jamais alliance se doit faire ni n’y doit avoir ; car nous entendons un point qui y est, pourquoi nous créons le mieux que alliances se feront que autre chose, car le duc de Lancastre a mis hors d’Angleterre toutes ses filles mariées et à marier. Il en y a deux, dont l’une aura, si comme nous supposons, votre adversaire de Portingal. » — « Et quelle chose, dit le roi, est bon que je fasse ? » — « Nous le vous dirons, sire, répondirent les chevaliers. Faites sur les frontières de Gallice garder les villes et les chastels les plus forts ; et les plus petits forts faites-les abattre. On nous donne à entendre que vos gens parmi ce royaume fortifient moustiers et clochers, et retrayent du plat pays leurs biens : sachez que c’est toute perte et confusion pour votre royaume ; car quand les Anglois chevaucheront, ces petits forts, ni ces églises ni moustiers ne leur dureront néant ; mais seront rafreschis et nourris des vivres que ils trouveront dedans, et en parferont leur guerre et conquerront le demourant : si vous disons que, tous tels petits forts faites-les abattre ce temps, en tant que loisir en avez ; et abandonnez tout ce qui sera trouvé dedans, si il n’est mis hors ens ès fortes villes, cités et chastels dedans le jour de la Toussaints