Aller au contenu

Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/517

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1386]
511
LIVRE III.

castre et la duchesse, ainsi que ordonné leur étoit ; et dirent ce que ils devoient dire et faire des beaux mulets amblans que le roi leur avoit envoyés.

Le roi répondit à ce et dit : que c’étoit petite chose et que une autre fois il envoieroit plus grands dons ; mais c’étoient accointances d’amour, ainsi que seigneurs qui se désirent à voir et entre accointer doivent faire l’un à l’autre pour nourrir plus grand’amour ensemble. Adonc apporta-t-on vin et épices ; et burent les chevaliers d’Angleterre, et puis prirent congé au roi pour celle heure et retournèrent à leurs hôtels, et soupèrent là celle nuit ; ni depuis, jusques à lendemain, ils ne virent point le roi ; mais à lendemain ils dînèrent au palais et furent les deux assis, le sire de Poinins et messire Jean de Buvrelé, à sa table, et messire Jean d’Aubrecicourt et messire Jean Soustrée dînèrent à une autre table avecques les barons du pays qui là étoient. Et là étoit Laurentien Fougasse, écuyer d’honneur du roi, qui bien connoissoit les compagnons et les chevaliers et écuyers anglois, car il les avoit vus en cel an assez en Angleterre : si leur faisoit toute la meilleure chère que il pouvoit, et bien le savoit faire.

Le dîner que le roi de Portingal donna ce jour aux chevaliers d’Angleterre fut bel et long et bien servi. Quand ce vint après dîner et on fut trait en la chambre de parement, les chevaliers d’Angleterre commencèrent à parler au roi et à deux comtes de Portingal qui là étoient, le comte d’Angouse et le comte de Novaire, et dirent : « Sire roi, avecques toutes recommandations que monseigneur le duc de Lancastre vous peut et veut faire, il nous enchargea au partir que nous vous dissions que il vous verroit volontiers. Et monseigneur considère les grands travaux que lui et ses gens ont eu à ci venir, tant par mer comme par terre, et les traités qui se sont entamés par le moyen de ses hommes et des vôtres et il y a moult bien cause. » — « En nom Dieu ! répondit le roi de Portingal, vous parlez bien ; et si il a désir de moi voir, aussi j’ai lui ; car mes gens se louent grandement de lui et de son accointance. Si nous verrons temprement et y mettrons ordonnance où ce sera. »

— « Monseigneur, répondirent les greigneurs de son conseil, autrefois le vous avons-nous remontré ; et ce seroit bon ; car jusques à tant que vous vous serez vus et entr’accointés, ne pouvez-vous avoir parfaite amour ni connoissance l’un à l’autre ; car la hantise fait l’amour. Quand vous serez l’un devant l’autre, et votre conseil aussi, lors aurez-vous avis et considération comment vous vous chevirez de votre guerre encontre votre adversaire de Castille : car sachez, monseigneur, que le duc de Lancastre et ceux qui sont venus en sa compagnie et issus hors d’Angleterre, ne sont pas venus pour reposer ni séjourner, mais pour faire une bonne guerre. » — « Ce nous l’entendons ainsi, dit le roi, et nous avons dit tout ce qui se fera. »

Après ces devises et paroles ; ils entrèrent par bonne ordonance et arrée en autres jangles ; et furent ces chevaliers d’Angleterre avec le roi de Portingal deux jours en grands reviaulx et ébattemens. Et leur firent le roi et les chevaliers de Portingal qui là étoient toute la meilleure chère qu’ils purent. Et le conseil du roi de Portingal fut en chargé, que certaine journée fût assignée entre eux deux que ils se verroient, et que les chevaliers d’Angleterre qui là étoient en fussent certifiés. Il fut fait. On fut d’accord que le roi de Portingal venroit au corps de son pays, en une cité qui est nommée au Port, et le duc de Lancastre chevaucheroit toute la frontière de Galice ; et là, sus le département de Galice et de Portingal, ils se trouveroient et parleroient ensemble. Sus tel état se départirent les chevaliers anglois du roi, quand ils orent été à Conimbres trois jours ; et se mirent arrière au chemin du retour et chevauchèrent toute la frontière de Galice, ainsi comme ils étoient venus ; et retournèrent à Saint-Jacques. Si contèrent au duc et à la duchesse comme ils avoient exploité. De ces nouvelles fut le roi tout réjoui ; et bien y avoit cause, car ses besognes se commencèrent à approcher.

Ne demeura guères de temps depuis que le roi de Portingal envoya de son conseil devers le duc de Lancastre, tels que messire Jean Ferrant Percek et autres à Saint-Jacques. Eux venus, ils dirent au duc comment le roi de Portingal étoit parti de Conimbre et venu en la cité du Port ; et attendroit là le duc ou environ à l’entrée de son pays pour parlementer ensemble. De ces nouvelles fut le duc de Lancastre tout réjoui, et fit bonne chère aux chevaliers, et leur dit que