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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/520

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

s’en faisoit étoient pour retraire hors le duc de Lancastre et sa route du royaume de Castille.

Nous nous souffrirons à parler de ces besognes, et parlerons du duc de Lancastre et du roi Jean de Portingal et de leurs acointances et comment ils se mirent ensemble.

CHAPITRE XLI.

Comment le duc de Lancastre et le roi de Portingal eurent collation ensemble sur ce mariage.


Quand ce vint le terme que le duc devoit partir de Saint-Jacques, il ordonna à demeurer son maréchal et ses gens à Saint-Jacques, excepté trois cens lances et six cens archers, qui furent ordonnés de chevaucher avec lui. Si se départit le duc et messire Jean de Hollande, connétable de l’ost, en sa compagnie, et plus de cinquante barons et chevaliers ; et chevauchèrent le duc et ses gens la frontière de Galice et approchèrent Portingal. Le roi, qui se tenoit au Port, sitôt comme il sçut que le duc approchoit son pays, il se partit du Port à plus de douze cens chevaux, et s’en vint toute la frontière de Portingal ; et gésit à une ville composte sur le département de son royaume, laquelle on appelle au pays Monson, la derraine ville de Portingal à ce lez-là ; et le duc s’en vint à une autre ville la première de Galice au lez devers Portingal ; laquelle ville on appelle Margasse. Entre Monson et Margasse[1] a une rivière et un beau pré et grandes plaines, et un pont que on dit au pays le Pont-de-More. Un jeudi au matin s’entr’encontrèrent à ce pont, entre les deux royaumes le roi de Portingal et le duc de Lancastre et toutes leurs gens, et là furent les accointances grandes et belles ; et avoit-on sur les champs fait feuillées et logis grands et plantureux de la partie du roi de Portugal ; et là alla dîner le duc de Lancastre avecques le roi ; lequel dîner fut très bel et bien ordonné de toutes choses ; et sistrent à la table du roi : le duc, l’évêque de Gonimbre, l’évêque du Port et l’archevêque de Brague ; et au-dessous messire Jean de Hollande et messire Henry de Beaumont en Angleterre, et aux autres tables tous les chevaliers du duc, et là foison de menestrels.

Si furent en ce déduit jusques à la nuit ; et fut ce jour le roi de Portingal vêtu de blanche écarlatte à une vermeille croix de Saint-Georges ; car c’est la devise de une maison que on dit de Vis en Portingal, d’où il étoit chevalier ; car quand les gens de son pays l’élurent à roi, il dit que toujours il en porteroit la devise au nom de Dieu et de Saint George, et toutes ses gens étoient vêtus de blanc et de rouge. Quand ce vint sur le tard, on prit congé à retourner à lendemain. Le roi s’en alla à Monson, et le duc à Margasse ; de l’un à l’autre il n’y a que la rivière et le pré à passer.

Quand ce vint le vendredi et que ils orent ouï messe, tous montèrent à cheval et s’en allèrent au Pont-de-More, au propre lieu où ils avoient été le jeudi, et là s’entr’encontrèrent. Et vous dis que on y avoit fait le plus beau logis et le plus grand de jamais. Et avoient le duc et le roi leurs chambres tendues de draps, de courtines et de tapis, aussi bien que si le roi fût à Lussebonne et le duc à Londres. Si orent entr’eux, avant dîner, parlement sur l’état de leurs besognes, et à savoir comment ils se pourroient chévir de leur guerre et en quel temps ils chevaucheroient. Si fut regardé que l’hiver le roi de Portingal se tiendroit en son pays, et le duc de Lancastre à Saint-Jacques ; et laieroient leurs maréchaux convenir ; et tantôt le roi et le duc et leurs gens se mettroient ensemble et entreroient en Castille, et iroient combattre le roi, quelque part qu’ils le sçussent ni quelle puissance que il eût, car Anglois et Portingalois se trouveroient bien trente mille ensemble. Quand celle chose fut arrêtée et du tout accordée, le conseil du roi de Portingal entama le traité du mariage pour avoir à leur roi femme, car bien étoit heure ; et vouloit son pays que il fût marié en lieu dont ils eussent honneur et profit, confort et alliances pour le temps à venir ; et ils ne savoient, si comme ils disoient, à présent lieu qui leur fut, au roi ni à toute la communauté, de pourprisse ni en leur grâce, que en l’hôtel du duc de Lancastre prendre femme. Le duc, qui véoit la bonne affection du roi de Portingal et de ses gens, et aussi qu’il se véoit en leur danger, pourtant que il étoit issu hors d’Angleterre et venu sus les François de Portingal et pour requérir son héritage le royaume de Castille, répondit à ces paroles doucement et en riant, et adressa sa parole au roi qui là étoit présent

  1. Monçao et Melgaço.