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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/564

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[1386]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Ferrant Percek[1] et Jean Ferrant Percek[2] le Pouvasse de Coingne[3], Vasse Martin de Merlo, le Poudich d’Asevede[4], Ferrant Rodriguez maître de Vis, et plus de quarante chevaliers, et foison d’autre peuple, et dames et demoiselles, et tout le clergé revêtu en habit de procession. Et fut ainsi madame Philippe de Lancastre amenée au Port de Portingal et au palais du roi, et là fut descendue. Et la prit le roi par la main[5] et la baisa, et toutes les dames qui étoient venues en sa compagnie ; et l’amena jusques à l’entrée de sa chambre, et là prit congé, et les seigneurs aux dames ; et tous se retrairent. Si furent les seigneurs d’Angleterre, qui là étoient venus, logés à leur aise, et leurs gens aussi, en la cité du Port, car elle est grande et bonne assez. Et celle nuit on fit les vigiles de la fête. À lendemain les danses et les carolles et les ébattemens, et passèrent ainsi la nuit.

Quand ce vint le mardi[6], le roi de Portingal, les prélats et les seigneurs de son pays furent tous appareillés au matin, à heure de tierce : si montèrent tous à cheval au pied du palais du roi, et puis s’en vinrent à l’église cathédrale que on dit de Sainte-Marie, et là descendirent et attendirent la roine qui vint bien accompagnée de dames et de demoiselles assez tôt, et toutes sus palefrois amblans bien arréés et ordonnés pour elles servir et porter[7]. Et quoique messire Jean Radighes de Sar eût épousé la jeune dame, la fille au duc de Lancastre, au nom du roi de Portingal, le roi solemnellement, devant tous ceux qui le purent voir, de rechef l’épousa là. Et puis retournèrent au palais, et là furent faites les fêtes grandement et solemnellement, et y ot joutes après dîner devant la roine grandes et fortes et bien joutées ; et eut le prix au soir de ceux de dehors messire Jean de Hollande, et de ceux de dedans un chevalier d’Allemagne du roi qui s’appeloit messire Jean Tête-d’Or. Si fut la journée et la nuitée toute persévérée en grands joies et en grands ébattemens ; et fut celle nuit le roi avecques sa femme. Et lui portoient renommée, ceux du pays qui le connoissoient, que encore étoit-il caste et n’avoit oncques eu compagnie charnellement à femme.

À lendemain renouvelèrent les fêtes, et joutèrent encore les chevaliers ; et ot le prix des joutes de dedans Vasse Martin de Merlo et de dehors messire Jean d’Aubrecicourt, et toute la nuit ensuivant on ne fit que danser, chanter et ébattre, ni aussi toute la semaine. Et tous les jours y avoit joutes de chevaliers et d’écuyers, moult grandes.

En telles joies et ébattemens que vous pouvez ouïr fut recueillie, fêtée et épousée la roine de Portingal en son avenue en la cité du Port ; et durèrent les fêtes plus de dix jours ; et y ot du roi aux étrangers beaux dons donnés et présentés, tant que tous s’en contentèrent.

Or prirent congé les chevaliers d’Angleterre au roi et à la roine, et se mirent au retour, et exploitèrent tant que ils vinrent en la ville de Saint-Jacques dont ils étoient partis ; et retournèrent devers le duc et la duchesse, qui leur demandèrent des nouvelles ; et ils en recordèrent ce que ils en avoient vu et qu’ils en savoient, et comment le roi de Portingal les saluoit et la roine se recommandoit à eux. Et dirent encore messire Jean de Hollande et messire Thomas de Percy : « Monseigneur, la derraine parole que le roi de Portingal nous dit fut telle : que vous vous traiez sus les champs quand il vous plaira, car il s’y traira aussi à toute sa puissance et entrera en Castille. » — « Ce sont bonnes nouvelles, » ce dit le duc.

Environ quinze jours après ce que le connétable et l’amiral furent retournés du Port et des noces du roi de Portingal, s’ordonnèrent le duc de Lancastre et ses gens pour chevaucher et pour aller conquérir villes et chastels en Galice. Encore n’en étoit pas le duc seigneur de tous ni de toutes villes. Et fut ordonné du conseil du

  1. Guadalupe Ferrant Pacheco.
  2. Joaò Ferrant Pacheco.
  3. Le Pouvasse de Coingne est mis là pour Lopo Vasques da Cunha. Les copistes ont écrit le Pouvasse au lieu de Lopo Vasc.
  4. Lopo Diaz de Azevedo.
  5. Le roi était alors à Évora, et il n’arriva qu’après elle.
  6. Le mariage se fit le jour de la Purification, 11 février 1387. D. Jean avait alors vingt-neuf ans et la reine vingt-huit.
  7. Duarte de Liaò donne quelques détails curieux sur cette cérémonie. Le roi était monté sur un beau cheval blanc et il était vêtu de drap d’or. La reine était montée sur un palefroi de la même couleur, et elle portait sur son front une couronne d’or ornée de pierreries. Les grands qui les accompagnaient étaient tous à pied, et l’archevêque de Braga tenait la bride du palefroi de la reine. Derrière la reine suivaient un grand nombre de femmes mariées, chantant des couplets, comme c’était alors l’usage.